Yvonne Schärli - Capture d'écran SRF

Actuel – 19.10.2016

« Les médias devraient donner leur place aux femmes politiques moins connues »

Si les stéréotypes de genre ont presque été complètement évités dans la campagne pour les élections fédérales 2015, les femmes étaient toutefois nettement sous-représentées dans les textes et les images. C’est ce qui ressort de l’étude « Genre et médias au préalable des élections fédérales 2015 » (résumée ici) qui a analysé une sélection de médias écrits et audiovisuels, y compris en ligne. Interview d’Yvonne Schärli, présidente de la Commission fédérale pour les questions féminines*.

Propos recueillis par Sylvain Bolt.

EDITO : L’étude indique que les listes électorales comptaient 34,5% de candidates alors que leur présence dans les comptes rendus des médias était inférieure de 10 points environ. Inversement, les hommes ont bénéficié d’une présence dans les médias de 75% alors qu’ils ne représentaient que 65,5% des candidats inscrits sur les listes. Comment expliquez-vous une telle différence ?

YVONNE SCHÄRLI: Je pense d’abord que de manière générale, la sensibilisation des médias sur cette thématique n’est pas encore aussi marquée qu’elle ne devrait l’être. En tout cas dans les médias analysés dans cette étude et dans le délai précis du mois précédent les élections.

Deuxièmement, les figures politiques médiatiques (présidents de parti, leaders dans les fractions) sont toutes masculines, rendant plus difficile le fait que les femmes soient représentées dans les mêmes proportions. Cela signifie que les médias devraient donner leur place aux femmes politiques moins connues et veiller à ne pas seulement mettre en avant ces figures politiques masculines.

EDITO : Quelles sont les conséquences d’une telle disparité ?

YVONNE SCHÄRLI: Les candidates ont été moins mentionnées dans les médias, moins présentées, moins citées… C’est une valeur moyenne, car en Suisse romande le résultat est meilleur qu’en Suisse alémanique.

EDITO : La présence des candidates dans les médias est en effet la plus importante en Suisse romande (25,1%). Comment expliquer cela ?

YVONNE SCHÄRLI: Je suppose que la sensibilité du point de vue des médias pour cette thématique est plus importante en Romandie. Ce n’est pas l’étude qui le dit, mais c’est ce que j’en conclus. On le voit aussi parfois dans les résultats des votations, la Suisse romande est de manière générale plus ouverte et moderne sur les questions d’égalité et de société.

EDITO : Est-ce le rôle des partis politiques de mettre en avant leurs candidates auprès des médias ?

YVONNE SCHÄRLI: En plus du fait de montrer la manière dont les médias traitent les candidates, nous souhaitons à travers cette étude que les partis ou les associations s’engagent plus. Oui, c’est aussi le mandat des partis politiques que de veiller à ce que leurs candidates, notamment celles qui sont moins connues, soient mises en avant lors de campagnes électorales. Les partis doivent soutenir les candidates et contribuer au fait qu’elles soient sur le devant de la scène, afin qu’elles deviennent « intéressantes » pour les médias.

EDITO : La situation a-t-elle évolué depuis la dernière étude datant de 2003 ?

YVONNE SCHÄRLI: La situation reste assez stable. Dans certains partis, comme chez les Verts (ndlr : seul parti dont les candidates ne sont pas sous-représentées dans les médias par rapport aux places qu’elles occupent sur les listes électorales) ou au sein du Parti socialiste, la proportion de femmes politiques représentées dans les médias est importante. Notons toutefois que la sous-représentation des candidates dans les médias n’empêche pas leur élection.

 » Il est fondamental que les femmes politiques apparaissent autant que les hommes dans les médias « 

EDITO : La probabilité que des femmes soient élues a fortement augmenté en quelques décennies (en 2015, il y a eu presque autant d’élues que de candidates). Paradoxalement, la présence des candidates dans les médias stagne. Comment expliquer cette contradiction ?

YVONNE SCHÄRLI: Nous nous sommes aussi posé cette question. Au sein du Parti socialiste par exemple, nous avons écrit dans nos argumentations le fait de devoir analyser cela plus précisément, afin de trouver l’explication à cette contradiction. Il est probable que ce soit en raison du fait que la société évolue, mais aussi que les électrices et électeurs du PS et des Verts ont tout simplement la volonté que des candidates soient élues au Parlement, sans que leur présence médiatique avant les élections ne joue un rôle. Il est malgré tout fondamental que les femmes politiques apparaissent autant que les hommes dans les médias, que ce soit dans les textes ou dans les images. Et qu’elles soient élues ou non.

EDITO : Comment faire concrètement pour que les médias accordent la même place aux femmes qu’aux hommes politiques ?

YVONNE SCHÄRLI: En faisant des comptes rendus sur cette étude et ses résultats, comme vous le faites maintenant par exemple. Ensuite, il est de notre rôle au sein de la commission de demander aux médias, mais aussi aux partis, qu’ils prennent en compte ces considérations dans l’optique des prochaines élections. Cela dans le but que notre long travail de monitoring amène des changements positifs. Notre rôle consiste à faire de la sensibilisation et nous espérons que les partis accorderont une place importante à ces considérations dans leurs réflexions et leurs stratégies médiatiques futures.

EDITO : Au niveau des stéréotypes de genre, qui ont été quasiment évités dans la présentation médiatique des élections fédérales 2015, l’étude permet de percevoir des changements positifs.

YVONNE SCHÄRLI: Oui, c’est en effet un point qui s’est considérablement amélioré et cela nous réjouit beaucoup. Mais cela a été constaté dans un délai précis d’un mois avant les élections. Sur cette thématique du stéréotype de genre, il serait important d’analyser cela sur un temps plus long, c’est-à-dire une fois que les candidates sont élues. Nous voudrions pouvoir vérifier le fait que ces stéréotypes de genre qui sont peu fréquents voir absents directement avant les élections, sont toujours aussi neutres une fois les candidates élues au Parlement.  De manière générale, nous ne sommes pas encore à l’endroit où nous devrions être, c’est-à-dire arriver au fait que les candidates soient autant présentes que les candidats dans les médias et que cela devienne une évidence.

*La Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF) est une commission administrative extraparlementaire permanente instituée par le Conseil fédéral. Elle est l’organe consultatif de la Confédération pour toutes les questions spécifiquement féminines ou touchant à l’égalité entre hommes et femmes en Suisse.

 

 

Sylvain Bolt

Sylvain Bolt

Journaliste Web pour Edito.ch/fr. Diplômé de l'Académie du journalisme et des médias de l'Université de Neuchâtel.

Votre commentaire

Veuillez remplir tous les champs.
Votre adresse e-mail n'est pas publiée.

* = obligatoire

Code de vérification *