Capture d'écran du Washington Post

Actuel – 22.09.2016

Quand l’éditorial d’un journal décrédibilise une rédaction

« No pardon for Edward Snowden ».  L’éditorial du Washington Post du 17 septembre laisse songeur. Le journal se retourne contre sa propre source, celle qui lui a pourtant permis de remporter le prix Pulitzer du « service public ». La question du rôle de « l’édito » dans un journal est soulevée. Par Sylvain Bolt.

Le journal – ou plutôt l’éditorial de son édition du 17 septembre – reconnaît que la fuite orchestrée par le lanceur d’alerte a ouvert la voie à une réforme utile des agences de renseignement américaines, mais reproche à l’ancien employé de la NSA d’avoir fait fuiter des informations sensibles autour du programme de surveillance PRISM,  « causant ainsi des dommages importants à la sécurité nationale des Etats-Unis ». Le Washington Post estime ainsi qu’un « pardon pur et simple donnerait un mauvais signe ».

C’est pourtant le Washington Post lui-même qui a décidé de publier ces révélations, glanant au passage le prestigieux Prix Pulitzer en 2013. « Ne devraient-ils pas attaquer leur propre journal pour avoir choisi de rendre cette information publique ? » s’interroge ainsi le journaliste Glenn Greenwald sur le site The Intercept.

Cette situation paradoxale amène des interrogations sur la place de l’éditorial dans un quotidien comme le Washington Post. « L’Editorial Board » du journal américain représente d’après sa page internet « l’opinion du Washington Post en tant qu’institution, une opinion déterminée après des débats au sein des membres de la rédaction éditoriale ». Avec la précision que celle-ci est indépendante de la rédaction du Washington Post.

Il semble évident que les journalistes du Post, qui ont travaillé des mois sur ces histoires, n’approuvent pas cet éditorial et le fait de vouloir condamner Edward Snowden. Le rédacteur en chef du Post lui-même, Marty Baron, s’est détaché de ces propos et a rappelé la séparation entre cette rédaction éditoriale et sa propre rédaction. Pourtant, l’éditorial d’un quotidien n’engage-t-il pas la responsabilité morale du journal ?

Un flou qui dessert le journal 

La question mérite d’être posée. Le fait de ne pas signer ces propos éditoriaux semble impliquer toute la rédaction. Ce n’est pourtant pas le cas. Que penser de la crédibilité d’un journal au sein duquel un groupe de personnes anonymes déclare l’opposé de la majorité de la rédaction journalistique ?

Le Washington Post, qui a remporté un prix grâce aux révélations de sa source Edward Snowden, défend-il le fait de publier de telles informations sur le comportement de son gouvernement dans l’intérêt public ou s’y oppose-t-il ? Plus rien n’est clair et cette question de fond est mise en péril.

Dans un environnement où la crédibilité journalistique est sans cesse remise en question, ce flou instauré par la rédaction éditoriale du Washington Post risque de desservir la fiabilité du journal et la profession dans son ensemble.

Sylvain Bolt

Sylvain Bolt

Journaliste Web pour Edito.ch/fr. Diplômé de l'Académie du journalisme et des médias de l'Université de Neuchâtel.

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