Actuel – 07.09.2013

Afrique, payer de sa vie l’info

Il n’est pas facile pour personne d’être journaliste en Afrique, aussi bien pour les reporters nationaux qu’étrangers. 

PAR ARNAUD BEBIEN

«J’ai failli finir en prison en raison de mon article et des révélations qu’il comprenait.» Mickael, un journaliste tanzanien, auteur d’une enquête sur l’achat de faux rétroviraux chinois par les autorités de son pays, a eu de la chance. En République démocratique du Congo (RDC), le journaliste radio Guylain Chanjabo (photo DR) n’a pas eu la même veine. Une douzaine de jours après sa disparition, ses proches ont découvert son corps sans vie – sans doute étranglé et gisant dans une rivière – le 17 mai 2013 à Bunia, dans l’Est de la RDC. Ces deux histoires, proches l’une de l’autre, montrent qu’il n’est pas de tout repos d’être journaliste dans certains pays d’Afrique.

Les correspondants étrangers, originaires d’Europe et d’Amérique du Nord, ne sont pas épargnés. Un journaliste belge, du temps où il était installé à Kinshasa, la capitale de la RDC, rapporte ainsi qu’il lui arrivait de recevoir des coups de téléphone, sur les coups de 4 heures du matin, de la part d’officiels lui demandant expressément de ne pas divulguer certaines informations. En Côte d’Ivoire, deux reporters occidentaux ont payé de leur vie le fait de travailler sur le continent: le Français Jean Hélène en 2003, et le franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004. Les conditions de l’assassinat du premier cité et de la disparition du second restent encore à ce jour inexpliquées, sur fond de sombres histoires liées à la Françafrique.

Reporters sans frontières (RSF), dans son classement 2013, pointe l’Erythrée – petit pays de la corne de l’Afrique – comme le pire pays au monde pour la liberté de l’information pour la sixième année consécutive. Pour l’ONG basée à Paris, l’Erythrée est «la plus grande prison pour journalistes d’Afrique» avec une trentaine incarcérée. En 2001, une terrible rafle dans plusieurs rédactions a emporté derrière les barreaux des dizaines de journalistes, dont certains sont morts en détention. La Somalie, où 18 professionnels de l’information sont morts en 2012, et le Soudan sont les deux autres Etats vampires pour les journalistes sur le continent. A Khartoum, la capitale soudanaise, le ministère de l’information a ainsi renvoyé deux journalistes indépendants français début 2012, après la publication d’un papier sur la situation de l’Ouest du pays, bien trop gênant pour le régime d’Omar el Béchir.

Si en 2013, trois pays – la Namibie, le Cap Vert et le Ghana – figurent bien dans le Top 30 mondial de RSF, et devant les Etats-Unis ou la France notamment, il ne faut pas non plus oublier le manque cruel de moyens et de considération dont font face nombre de reporters. Au Kenya ou en Tanzanie, un pigiste récolte souvent moins de 5 euros pour un papier de plusieurs dizaines de lignes. Les photos sont également payées au lance-pierre, quand le reporter dispose d’un appareil numérique… Face à des ventes trop faibles et des annonceurs en berne, nombre de journaux, radios ou télévisions pratiquent le publi-reportage: entreprises, ONG, associations payent pour faire venir la presse et faire passer leur message. C’est aussi comme cela que certains médias arrivent à verser un salaire à leurs journalistes.

L’auteur est journaliste indépendant.

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