Actuel – 30.10.2015

Comment rendre l’information attractive

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Patrick Amey

 

Le divertissement va-t-il surpasser les information dites «sérieuses»? Selon la dernière étude de l’institut fög, les médias en ligne attirent de plus en plus de consommateurs (notamment les plus jeunes) alors que, pour les médias «classiques», c’est l’inverse qui se produit. Quelles sont les tendances à venir? Patrick Amey, maître d’enseignement et de recherche à l’institut des sciences de la communication, des médias et du journalisme de l’Université de Genève, a répondu à nos questions.

Pourquoi, à votre avis, est-ce que les médias sociaux se montrent aujourd’hui de plus en plus attirants alors que l’inverse se produit pour les médias classiques?

L’attirance pour les médias sociaux va sans doute aller en s’accentuant car ils intègrent le point clé qui a la faveur des jeunes, notamment: leur capacité de permettre l’investissement relationnel, l’échange, la recommandation, et donc la possibilité de faire du consommateur de médias un acteur à part entière. Les médias sociaux font jonction, mettent du lien et de la sociabilité là où les médias classiques mènent à une pratique solitaire.

Cette évolution est-elle inéluctable?

Le broadcasting media et sa logique de programmation et d’imposition des programmes vont à l’encontre du libre choix d’exposition à des contenus, qui semble le maître-mot. Les médias classiques doivent innover, proposer du neuf, s’inscrire dans la mouvance s’ils ne souhaitent pas que leur programme soit sujet à concurrence.

Faut-il s’en inquiéter?

Si inquiétude il devait y avoir, elle est celle de ceux dont la mission est d’informer les concitoyens, qui doivent se poser comme des acteurs en concurrence face à des logiques d’exposition aux médias où l’offre et les canaux se sont démultipliés

Les médias d’information s’y prennent-ils mal pour capter ce public jeune?

Les médias d’informations doivent lutter contre des fixations d’attention flottantes, contre des pratiques de lectures dites indicielles (qui consistent à fixer son attention sur des titres, à dériver dans une page web), mais doivent aussi composer avec une culture du désinvestissement face à l’actualité et à l’information qui est spécifique à une partie des jeunes. L’étude JAMES de 2014, à laquelle j’ai participé, montre que c’est entre 16 et 17 ans que l’inflexion vers un intérêt plus marqué pour «le monde» se manifeste chez les jeunes, avec un léger rééquilibrage entre la recherche d’information généraliste (le social, le politique, le people, le sport, etc.) et les informations se rapportant à son groupe de pair, que traduit leur fort investissement dans les réseaux sociaux notamment.

Quelles pourraient être les solutions des médias d’information pour attirer les plus jeunes?

Les médias d’information, et donc les titres de presse, au même titre que le service public (radio-tv), ont pour mission de contribuer à ce que les citoyens puissent se forger une opinion, voter en toute connaissance de cause, aient une compréhension du monde dans lequel ils vivent. Se pose la question de savoir si de nouvelles formes de journalisme ne prendront pas davantage de place à l’heure où le journalisme d’investigation devient coûteux et où le journalisme d’opinion est contraire à la valorisation de l’horizontalité en vigueur avec le Web 2.0; je pense ici au journalisme narratif, au journalisme de données qui ouvrent des pistes complémentaires d’accès à l’actualité et qui interpellent le vécu du citoyen-consommateur de nouvelles; les reportages-ethnographiques d’immersion sont aussi des pistes fécondes qui peuvent ouvrir sur un intérêt plus important, en particulier des jeunes, dont ceux qui sont dépolitisés, à l’actualité locale voire internationale. Dans les faits, le journalisme de révélation garde son pouvoir d’attraction tout comme les nouvelles qui rendent compte de la vie privée, des à-côtés de la vie politique ou de celles des célébrités.

L’enjeu majeur est alors de savoir comment concilier des mises en forme du monde en gardant le pouvoir d’attractivité au produit fini que sont les articles de presse ou les reportages de terrain. Une tendance se dessine: le reportage de terrain et d’immersion, l’investigation en caméras cachées à la télévision etc. Autant de pratiques qui, auprès d’une partie des consommateurs d’information, convoquent plus un acte de voyeurisme, interpellent par des expériences de vie narrées ou montrées, et offrent d’autres perspectives que le commentaire, la réflexion ou la mise en perspective de l’actualité qui demeurent, cela dit, la pierre d’échafaudage et l’horizon sublime de la formation et du métier de journaliste.

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