Photo : Jean-Claude Péclet

Actuel – 24.03.2023

Des archives journalistiques rares

Journaliste et ancien président de l’association professionnelle impressum, Christian Campiche a deposé ses archives à Lausanne. Détour aussi par celles de Roger de Diesbach à Fribourg.

Par Jean-Luc Wenger

Les archives de la Ville de Lausanne disposent ­dorénavant d’un fonds – ouvert au public – au nom du journaliste Christian Campiche, toujours bien ­vivant. Il contient, notamment, des documents concernant plusieurs grosses enquêtes qu’il a réalisées ­durant ces quarante dernières années, le tout regroupé en 15 boîtes d’archive.

On farfouille dans les deux cartons comportant ce qui se rapporte à Seveso et les fûts de dioxine, un puissant herbicide, étrangement égarés par l’usine Icmesa dans le Nord de l’Italie en 1976. Il sera l’un des seuls Romands à suivre l’affaire jusqu’au gigantesque procès final.

Les entreprises suisses Hoffmann-La Roche et Givaudan possédaient la société coupable de cette catastrophe écologique en Lombardie. Dans les deux boîtes liées à cette ­affaire, on trouve des extraits de la presse italienne dès 1983 ou des dépêches d’agences soigneusement découpées. ­Mais aussi de la littérature grise et des notes personnelles griffonées à la hâte et de minuscules feuillets avec des numéros de téléphone à six chiffres.Le lieu d’entreposage des fameux fûts a fait l’objet de nombreux mystères. « C’est un serpent de mer », dit aujourd’hui Christian Campiche. Cette histoire parle d’environnement, d’économie et de justice. Des thèmes terriblement actuels.

Puits de pétrole. Dans une autre boîte d’archive, on tombe sur le « Kuwait Gate ». On trouve un livre de Christian Basano et beaucoup d’autres documents de justice. L’histoire retiendra que lorsque plus de 700 puits de pétrole brûlaient, incendiés par Saddam Hussein, un inventeur avait trouvé l­e moyen de les éteindre. Malgré un contrat avec le Kowaït, il ­ne sera jamais payé – on évoque quand même près de 30 mil­liards de dollars – et il parlera de blanchiment d’argent sale. L’inventeur avait déposé plainte à Genève. Mais cette ­affaire ­a des ramifications en France puisqu’on lit les noms de Dominique Strauss-Kahn et d’Edith Cresson dans ce dossier, soit les prémices de l’affaire Clearstream. Il s’agit d’un véritable polar au long cours avec des meurtres jamais résolus.

La veuve de Saint-Exupéry. Le journaliste est aussi très content de son enquête sur Consuelo de Saint-Exupéry, alors épouse du fameux pilote d’avion et écrivain, auteur du « Petit Prince » notamment, un livre vendu à plus de 100 millions d’exemplaires. « Bien sûr que l’on peut trouver les mêmes documents ailleurs. Mais là, nous avons un concentré de l’histoire des faux carnets de Consuelo, d’origine salva­dorienne », relate Christian Campiche. L’aviateur a eu une ­re­lation tumultueuse avec elle et lui avec ses nombreuses maîtresses. Mais elle aussi, avec ses nombreux amants, son ­jardinier notamment.

Elle publie une vague biographie « Les Mémoires de la rose » en l’an 2000, un livre qui se vendra à plus de 80 000 exemplaires en France et qui contient des pages manuscrites, soi-disant de sa main. Christian Campiche trouve d’étranges analogies avec l’écriture de Denis de Rougemont, qui était son amant. Il soumet alors les deux textes manuscrits à l’Institut de police scientifique à Lausanne qui conclut que Consuelo n’est pas l’auteure de ces lignes. « Je sors l’affaire et elle fera le tour du monde. Ça a fait la une du Figaro ! » Ce scandale littéraire doit beaucoup au jardinier qui avait hérité des droits de l’œuvre de St-Ex.

« Une collection de documents journalistiques assez inédite. »

Christian Campiche

Christian Campiche travaillait alors pour La Liberté et le rédacteur en chef Roger de Diesbach l’a encouragé à demander une expertise même s’il en coûtait 3400 francs. Le journaliste publiera un essai nommé « Le Nègre de la Rose » sur cette saga. En 2010, il se demandait encore dans le quotidien fribourgeois si les dessins du « Petit Prince » n’étaient pas planqués en Suisse. Un article publié sous le titre « Les héritiers du poète se déchirent ». Qui reprendra le flambeau de l’enquête ?

Inventaire à faire. Christian Campiche estime que cette collection de documents journalistiques est assez inédite : « Je pense que cela peut intéresser des étudiants en journalisme mais aussi des chercheurs. L’inventaire complet du fonds reste à faire, mais il a bien préparé le terrain en triant les matériaux accumulés. Christian Campiche loue aussi son dossier sur les lanceurs d’alerte.

Christian Campiche est né à Budapest en 1948 d’un père suisse et d’une mère hongroise. Après avoir vécu dans différents pays, il entre au Collège St-Michel à Fribourg. Il obtient sa licence ès sciences politiques à l’Université de Genève en 1973. Il travaille, notamment, pour L’Echo des Suisses de l’étranger puis au Journal d’Yverdon. Il a publié plusieurs essais et deux romans.

1982 : Engagé par l’Agence télégraphique suisse et envoyé comme correspondant à Lugano.

Dès 1989 : Participe au lancement du magazine Bilan dont il devient le rédacteur en chef adjoint.

De 1995 à 1996 : Occupe la même fonction au quotidien L’Agefi.

1996-1998 : Chef de la rubrique économique du Journal de Genève et Gazette de Lausanne.

2000-2007 : Chef de la rubrique économique de La Liberté.

2003 : Il crée le site radeaudelameduse.ch devenu infomeduse.ch.

2005-2019 : Siège au Comité central d’impressum et en sera président dès 2015.

Dès 2009 : Rédacteur en chef pour la partie francophone d’EDITO+KLARTEXT.

Roger de Diesbach est aussi en boîtes

L’ancien rédacteur en chef de La Liberté Roger de Diesbach, également fondateur du BRRI (Bureau de reportage et de recherche d’informations), a laissé 222 cartons aux Archives du canton de Fribourg. « Une aubaine pour les historiens », écrivait Jean Steinauer – lui-même journaliste et écrivain – dans Le Temps en mars 2015. « Par-ci, par-là,on trouvera  sans doute, une lettre ou une note de travail qui apportera quelque précision de détail sur un épisode reconnu déjà comme objet d’histoire – ventes d’armes et autres transactions … », écrivait Jean Steinauer.

A l’occasion de la remise du fonds, La Liberté titrait « Le legs d’un géant du journalisme » et soulignait cinq ans de travail avaient été nécessaires pour inventorier ce trésor. Roger de Diesbach, décédé en 2009, pionnier du journalisme d’investigation laisse un répertoire de 488 pages, soit mètres linéaires. Le quotidien dont il était le chef rappelle qu’il était « un homme libre, affranchi des contingences publicitaires, se préoccupant autant de géopolitique internationale que du sort des plus humbles ». Un bel hommage.

Une partie des boîtes d’archive contient 1400 dossiers d’enquête produits par le BRRI, créé en 1986. Ses enquêtes personnelles, sa correspondance profes­sionnelle compte plus de 180 dossiers.

Publié en 2007 aux Editions Slatkine, son ouvrage « Presse futile, presse inutile », un véritable plaidoyer pour le journalisme, reste cruellement d’actualité. « Commerce du diamant, gestion des déchets, achat du F/A-18, génocide au Rwanda, affaire Kopp, exportations d’armes suisses … On y retrouve tous les grands thèmes de prédilection du journaliste », s’enflammait justement Le Temps.

Roger de Diesbach avait travaillé de 1969 à 1976 à l’Agence télégraphique suisse. Il en avait été viré pour avoir publié, contre l’avis de sa hiérarchie, une enquête sur la livraison d’hélicoptères de police de la Suisse au Chili du général Pinochet. Tout un symbole.

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