Tahreer Sawafta, animatrice

Actuel – 04.11.2016

Des Palestiniennes au micro

A Ramallah, des femmes ont décidé d’utiliser les ondes pour faire bouger les choses et briser certains tabous. Visite à Radio Nisaa. PAR JULIETTE MÜLLER

«Nous ne voulons pas parler que des sujets traditionnels comme la violence faite aux femmes. Notre radio doit aussi être un outil d’inspiration.» Cheveux noirs attachés sur la nuque, la quarantaine peut-être, Maysoun Odeh Gangat nous reçoit dans les locaux de Radio Nisaa (Radio «femmes», en arabe), au premier étage d’un joli immeuble d’un quartier tranquille de Ramallah.

Fondé en 2009 avec le soutien de la Womanity foundation (basée à Genève), le média qu’elle dirige s’est progressivement hissé à la 5e place d’un paysage radiophonique qui compte, selon elle, 85 stations. Sa particularité: il est produit presque uniquement par des femmes et traite avant tout de sujets liés à elles. Une première au Moyen-Orient et dans une société relativement conservatrice. Selon UN Women, la Palestine compte moins de 20% d’emplois féminins, l’un des taux les plus bas au monde. Ici, leur place se trouve encore largement à la maison.

L’émission du matin, consacrée à une association favorisant la participation féminine en politique, vient de se terminer. Les élections (alors prévues en octobre, mais qui ont été repoussées), c’est le gros sujet des prochaines semaines. Mais ici, on aborde aussi des choses plus légères. Dans le studio d’à coté, Tahreer Sawafta, la vingtaine, qui porte un élégant voile accordé à ses vêtements, s’affaire pour préparer l’émission suivante: l’interview d’une artiste de Ramallah.

Le genre d’histoire que l’on recherche à radio Nisaa, ce sont ces «success-stories» de femmes qui vont à l’encontre du rôle qui leur est assigné par la société. Comme celle de Maysoun Qawasmi, cette habitante d’Hébron candidate en 2012 à la mairie de sa ville à la tête d’une liste entièrement féminine et qui a proposé d’y lancer un club de sport ouvert aux femmes. Une sorte d’OVNI dans la conservatrice cité du sud de la Cisjordanie. Ou encore celle de cette entrepreneure qui a monté une boulangerie dans son village, emploie maintenant dix personnes et distribue ses produits à deux supermarchés des environs de Naplouse. «Tous les lundis, nous réalisons une grande interview avec des intervenantes qui peuvent inspirer», précise Maysoun Odeh Gangat. «C’est un moyen d’encourager la participation des femmes au marché du travail.»

Accessible partout et facilement, la radio est aussi un instrument particulièrement adapé pour «amener les femmes à s’exprimer sur des sujets délicats, ce qu’elles n’auraient pas forcément osé faire à la télévision», explique la directrice. Sur 10 employés, la petite entreprise compte deux hommes, mais dans des postes hors micro. Lorsqu’il s’agit d’évoquer les mariages trop jeunes, les crimes d’honneur (jeunes filles tuées par leur famille lorsqu’elles sont soupçonnées d’avoir eu une conduite «immorale» souillant l’honneur de la famille) ou simplement la question du divorce, (autorisé pour les femmes seulement à certaines conditions), plus facile en effet d’être interviewé par quelqu’un du même sexe. «Les femmes sont aussi plus sensibles à ces sujets.

Lever certains tabous, renseigner les femmes sur leurs droits par la voix d’autres femmes, tout ceci sur les ondes, comment cela est-il accueilli dans la société palestinienne? «Notre radio est bien perçue car nous présentons les choses de façon équilibrée», juge Maysoun, qui en tient pour preuve la bonne place du média au classement des radios les plus écoutées, et par les deux sexes. Mais elle prend tout de même certaines précautions. Ainsi, «les sujets sensibles ne sont pas abordés tôt le matin, aux heures de grande écoute, mais un peu plus tard dans la matinée».

Quant a l’occupation israélienne, quel est son impact sur la situation des femmes? Le sujet est-il abordé? «Elle limite encore plus ce que les femmes peuvent faire, mais elle n’est pas l’explication ou l’excuse à tout», estime la directrice. «Nous essayons de ne pas trop entrer dans ces questions politiques, car tous les autres médias le font déjà, mais c’est difficile, car tout est lié à l’occupation. Il y a des accouchements aux checkpoints par exemple!»

Issue d’une famille palestinienne de Jérusalem, elle a elle-même perdu son père dans la guerre des six jours de 1967 et a été élevée, avec ses 3 frères et soeurs, par sa seule mère, «une femme émancipée et autonome, qui nous a fourni la meilleure éducation». On croit déceler, soudain, d’où vient une partie de la vocation.

Article paru dans Edito 2016 / 5

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