Actuel – 08.11.2017

Génération gratuité

Présenté aujourd’hui en première mondiale à Genève, le film de Frédéric Gonseth, «Le printemps du journalisme», documente bien la mort de L’Hebdo, la crise de la presse, la recherche de solutions. Et montre le fossé avec des jeunes qui ont tout sur le smartphone. Mais on y voit aussi leur désir d’information.

«Ce qui m’inquiète le plus, que la presse soit une affaire de vieux. Autour de moi personne n’achète la presse, personne ne dépense de l’argent pour avoir de l’information», lançait Thomas Wiesel lors de la manifestation de protestation après l’annonce de la fermeture de L’Hebdo, en février, à Lausanne. Peu après, symboliquement, la caméra descend du pont Bessières vers le métro qui circule en-dessous. On y entre. Des jeunes y ont les yeux rivés sur leur smartphone. On entend leurs avis:

«J’ai besoin de savoir, d’être au courant, d’être informé directement, je n’aime pas être le dernier à savoir ce qui se passe.»

«Pour moi c’est très important l’immédiat, ça nous donne des informations par rapport à l’actualité de ce qui se passe dans le monde.»

Ils ont entendu parler de la mort du magazine romand d’informations, ça ne les touche guère. «Il y a sûrement d’autres manières de s’informer.»

Depuis plus d’une année, Frédéric Gonseth s’est engagé dans un travail militant contre l’intiative No Billag et pour un soutien à la presse, avec la création d’abord de l’association Médias pour tous, puis de FIJOU (le 31 octobre), cette dernière devant servir d’interface pour le financement du journalisme. Paralèllement, il a tourné «Le printemps du journalisme».

On y voit la dernière séance de L’Hebdo, l’une des premières de Bon pour la tête. On y suit notamment les journalistes Anna Lietti, Luc Debraine et Isabelle Falconnier. On peut être touché notamment par les propos de la première, par son envie «plus que jamais» de faire du journalisme. On y entend d’autres avis pertinents, comme celui de Serge Gumy, rédacteur en chef de La Liberté. On y voit des extraits de plusieurs débats, notamment au Grand conseil vaudois lorsqu’il se prononce en faveur d’une aide romande à la presse.

Images et propos qui attestent bien de la situation de crise que nous connaissons. La partie la plus instructive du film, pour nous, et que nous aurions aimée plus large, est celle qui suit trois groupes de jeunes dans leur manière de s’informer. Comme le dit le synopsis, on voit que «l’écart se creuse entre ces deux mondes: les intellectuels d’un côté, les jeunes de la génération «no media» de l’autre.»

Le film dresse peu de passerelles entre ces deux mondes. Par exemple, Anna Lietti souligne bien le rôle stimulant d’un média d’infomation auquel on s’abonne: on y lira peut-être des choses qui ne nous intéressent pas a priori, mais on le fera parce qu’elles sont proposées par la rédaction en laquelle on a confiance. C’est «une formation à la curiosité». Mais un Youtubeur auquel un jeune s’attache ne peut-il jouer le même rôle?

Néanmoins, on entend beaucoup de propos intéressants dans cette partie du documentaire. Dans des centres de quartier et des écoles vaudoises, des jeunes sont invités à un test de réaction aux fake news. On leur remet une photo de fleurs à Fukushima, après l’accident nucléaire. La croient-ils vraie? Réponses partagées. Seuls 4 sur 10 ont l’idée de chercher l’origine de la photo (qui est indiquée au-dessus). Des déclarations ont le mérite de la clarté:

«Je m’en fiche un peu de savoir si c’est vrai ou faux. Pour moi, ce que je lis, c’est vrai», dit une élève.

«Je vois une image, je ne vais pas aller sur Google pour voir si elle est vraie ou pas. Si elle paraît réelle, elle est réelle», dit une autre.

Le film suit brièvement la Semaine des médias à l’école, en mars, suit des élèves en visite à la RTS (radio) ou à 24 Heures. Il questionne la faiblesse des moyens engagés pour l’initiation aux médias: «C’est encore trop peu, plaide le synopsis, il reste beaucoup à faire, mais pour cela il faut une volonté politique.»

Ce qui ressort aussi de leurs propos, c’est que le fossé n’est pas rejet. S’il ne vient pas à l’idée de ces jeunes de payer pour de l’information, c’est parce que, comme le dit joliment l’un d’eux, «on est une génération où on nous a tout vendu gratuit.» Mais ils font davantage confiance aux informations que produisent des journalistes. L’image de Fukushima, par exemple, «peut-être que j’aurais eu plus confiance si c’était un média que je connaissais», dit une élève. Ils savent que les journalistes «n’ont pas le droit de mettre n’importe quoi». Une fille affirme: «Ouais, on a un peu confiance en eux, ils sont pas journalistes pour rien.»

Dans la même discussion, un garçon pense que «le journalisme est un métier qui va disparaître. Il va être remplacé malheureusement par les réseaux sociaux.» On peut être surtout sensible ici au mot malheureusement.

Alain Maillard

 

 

 

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