Actuel – 25.09.2013

«Gezi a constitué un miroir pour les grands groupes de presse»

La Turquie a été secouée début juin par les plus grandes manifestations de son histoire contemporaine. De nombreux citoyens ont dénoncé la détérioration graduelle des libertés individuelles. 

Propos recueillis par Clément Girardot

Dans le pays qui détient le record du monde de journalistes emprisonnés, la situation de la liberté d’expression est de plus en plus critique. Les médias se sont retrouvés au centre de la mêlée entre un pouvoir inflexible et une mobilisation populaire inédite. Erol Önderoglu (photo DR), représentant de Reporters Sans Frontières en Turquie depuis 1996, fait le point sur l’évolution du paysage médiatique turc après le mouvement de Gezi, de plus en plus polarisé entre des grands groupes discrédités et des médias alternatifs en plein essor.

EDITO+KLARTEXT: Quel a été votre travail pendant le mouvement de Gezi ?

Erol Önderoglu: Je suis au quotidien les atteintes à la liberté de la presse. Beaucoup de journalistes ont été agressés ou arrêtés. Durant les manifestations de Gezi, les reporters internationaux se sont retrouvés dans la même vulnérabilité que leurs confrères turcs. Ils craignent aussi pour leur sécurité. Le gouvernement a incité les forces de l’ordre à s’en prendre aux journalistes en leur garantissant l’impunité, il a voulu barrer la route dès le début à toute forme de couverture médiatique. Je pense qu’il a échoué car les atteintes contre les journalistes ont constitué une dimension de la contestation.

On a pu observer des manifestations devant les locaux des grands groupes médiatiques et une hostilité envers leurs journalistes. Qu’en pensez-vous ?

Le mouvement Gezi a constitué un miroir pour ces grands groupes. Il a montré aux médias mainstream turcs qu’ils avaient abandonné leur mission d’informer la population. Le rôle des médias est devenu la collecte de publicités ainsi que la manipulation de l’information au profit du gouvernement et des forces financières.

Ces grands groupes sont présents dans d’autres secteurs que les médias. Sont-ils devenus de simples outils de prestige et de pouvoir?

Exactement, NTV

n’est pas seulement une chaîne d’information, elle fait partie du groupe Dogus qui a des activités dans le domaine de la construction, de l’énergie, de la vente d’automobiles, des banques. NTV ne parlera pas de l’effet néfaste des constructions hydroélectriques en Anatolie, de la mauvaise urbanisation ou de la congestion automobile.

Est-ce que vous avez des échos sur la situation dans les rédactions des grands médias ?

Des conflits éclatent entre les rédactions qui veulent parler de manière indépendante des évènements et les directeurs de la publication qui essayent d’imposer le point de vue des  propriétaires qui seraient dans une situation «délicate» vis-à-vis du gouvernement. Mais de nombreux journalistes préfèrent démissionner plutôt que de servir les intérêts supérieurs des patrons  de presse.

De multiples médias alternatifs ont couvert les événements de Gezi, quel peut être leur impact?

L’impact de ces médias va s’accentuer, le mouvement de contestation ne va pas se terminer là. Gezi a démontré une bonne pratique des outils d’information alternatifs avec l’implication d’un grand nombre de journalistes licenciés ou d’étudiants en communication. Les citoyens qui critiquaient les médias mainstream depuis tant d’années ont pu apprécier le travail extraordinaire fait par ces reporters jeunes, courageux et présents sur le terrain. Malheureusement, le gouvernement a voulu discréditer les médias sociaux en se focalisant sur un ou deux contenus extravagants. Mais, dans la mesure où ils ont été dans la ligne de mire du pouvoir politique et des journaux islamistes, cela donne une idée de leur efficacité.

Clément Girardot est journaliste indépendant. Interview parue dans EDITO+KLARTEXT No 4/2013 avec adjonction des trois dernières phrases, manquantes dans la version papier.

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