Tout frais retraité, le correspondant du Temps à Berne reste un passionné de politique. Photo : Lea Kloos

Actuel – 17.03.2022

« Je suis fier d’être resté journaliste pendant 40 ans »

Fraîchement retraité, le correspondant parlementaire Bernard Wuthrich revient sur quelques dates importantes de la politique suisse.

Par Jean-Luc Wenger

Pour son dernier article avant que ne sonne l’heure de la retraite, le 29 janvier, le journaliste Bernard Wuthrich a choisi d’évoquer les presque trente années qu’il aura passées à Berne via le regard de quatre anciens ­conseillers fédéraux : Micheline Calmy-Rey, Pascal Couchepin, Joseph Deiss et Christophe Blocher. Mais sa passion pour la politique suisse n’a pas disparu du jour au lendemain.

Il a déjà repris du service le ­dimanche 13 février pour couvrir le vote sur la suppression du droit de timbre. Il continuera d’écrire occasionnellement dans Le Temps, le média pour lequel il a travaillé depuis sa création en 1998, et de dispenser ses précieux conseils aux jeunes en formation.

Avec nous, il revient sur les mutations qu’a connues le métier. « Il y a d’abord eu l’évolution technologique, Internet, les réseaux sociaux. Avec le risque que la vitesse ne permette pas toujours de vérifier soigneusement une information comme on nous avait appris à le faire. La manière de travailler n’est plus la même, on doit s’adapter en permanence. »

Contrairement à une idée reçue, le journaliste pense que les réseaux sociaux n’influencent pas (encore) les votations populaires. « Mais ça va venir », estime-t-il. On sent déjà des changements dans les campagnes politiques : « Les slogans et arguments qui sont déployés à la veille d’un ­scrutin sont parfois très différents de ceux qui avaient été évoqués durant les débats parlementaires », observe-t-il.

Des échecs. Il relève également la montée en puissance des lobbies. Parmi les ­autres changements, il note que le vote du 6 décembre 1992, avec le rejet de l’Espace économique européen (EEE), aura été un tournant. Cela aura été le premier grand triomphe de Christoph Blocher. Bernard Wuthrich avait commencé son travail à Berne quelques mois avant le fameux « dimanche noir » décrit par le conseiller fédéral de l’époque, Jean-Pascal Delamuraz.

Cet échec a ouvert la voie à une série d’autres revers pour le Conseil fédéral et le Parlement, dont la parole n’aura, par la suite, plus autant suivie que par le passé. Il cite l’initiative des Alpes (1994), la ­réforme des retraites à plusieurs reprises, les minarets (2009), le renvoi des criminels étrangers (2010), la Lex Weber (2012), et, pour ne pas être exhaustif, le vote sur la burqa en 2021, sans oublier le triple échec, inédit, du 13 février dernier.

Bernard Wuthrich relève que, depuis l’introduction du droit d’initiative populaire en 1891, 226 propositions de modification de la Constitution ont été soumises au peuple. 25 ont été acceptées dont 14 après 1992. « Le climat a changé. Dans la Suisse moderne, on multiplie les initiatives. Vu l’évolution démographique et grâce aux nouveaux outils, c’est un jeu d’enfant de recueillir le nombre de signatures requis en dix-huit mois. »

Suisse romande en retard. Parmi ses centres d’intérêt, il se passionne pour tout ce qui touche à la mobilité. « Sur ce sujet, la Suisse romande a toujours eu du retard sur la Suisse alémanique. Ici, nous avons long­temps parlé de « transport » et non de « mobilité ». Or, parler de transport ne transporte personne de joie ! « Depuis que l’on parle de mobilité, on réalise que cela ne consiste pas uniquement à construire des routes ou des voies de chemin de fer, mais que cela concerne notre quotidien. »

Membre de l’Association suisse de la presse ­ferroviaire, qui organise nombre de visites captivantes en Suisse et à l’étranger, Bernard Wuthrich a pu voir la réalisation de nombreux projets sur le terrain. « Je vais continuer à m’intéresser à cette thématique devenue majeure dans notre société. » L’énergie est un autre enjeu qui lui ­tient à cœur.

Faire le tri. Au moment de faire ses ­valises, il a effectué un tri minutieux de ses archives papier. « J’avais gardé, par exemple, l’intégralité du rapport Hayek sur la nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes (NLFA). C’était un sacré bras de fer entre deux conseillers fédéraux, Adolf Ogi et Otto Stich, dans les années 90. Mais j’ai fini par tout jeter, sans regret, car je préfère m’intéresser aux projets d’avenir. »

« Aujourd’hui, on manifeste avec davantage de véhémence. »

Bernard Wuthrich

Parmi les rencontres importantes, il se souvient de celle avec Mikhaïl Gorbatchev. Alors président de la Croix-Verte internationale, une ONG à but environnemental, il a pu l’interviewer lors de son passage à Berne. Il se remémore l’époque où les journalistes étaient volontiers invités à ­accompagner les conseillers fédéraux à l’étranger. « Cela s’est perdu au fil du temps. Ces occasions n’ont pas complètement disparu, mais elles sont devenues rares. La pandémie n’a évidemment pas arrangé les choses. C’est dommage, cela permet de ­mieux saisir la personnalité et l’intimité des membres du gouvernement. »

Un bon souvenir. Bilingue, né à Berne, il a logiquement reçu des propositions pour passer de l’autre côté de la barrière, aller « faire de la com’» pour X ou Y. « Mais je n’ai jamais voulu faire ça. Je suis fier d’être resté journaliste pendant 40 ans ! », relève-t-il. Il s’est d’ailleurs toujours engagé pour défendre les intérêts de la profession, comme président de l’Association neuchâteloise des journalistes (ANJ) en 1995 et 1996, puis au sein du comité de l’Union des journalistes du Palais fédéral (UJP) pendant plusieurs années.

Rester journaliste, cela signifie entretenir en permanence son réseau. « Il faut systématiquement le tenir à jour, en particulier après les élections fédérales, qui, tous les quatre ans, voient de nouvelles têtes arriver à Berne. Les élections de 2019 restent quelque chose de très spécial : il y a eu un fort renouvellement au Parlement. Je m’étais fixé un calendrier pour faire connaissance avec les nouveaux élus et les nouvelles élues, mais la pandémie a compromis ce calendrier, de sorte que je quitte Berne sans avoir eu le temps de nouer tous les contacts prévus. »

Les lobbies. L’un des moments forts de sa carrière aura été le vote sur les minarets, en 2009. Bernard Wuthrich était alors chef de la rubrique de politique suisse du Temps, avec un pied à Genève et l’autre à Berne. Ce jour-là, il était à Genève et avait fixé rendez-vous à Micheline Calmy-Rey pour une interview. « Je me souviens du choc qu’elle a vécu. Cette votation a montré que les sondages peuvent se tromper et l’émotion triompher. Idem pour la burqa. On voyait bien que c’était sensible et ­émotionnel. »

Un bon souvenir restera l’acceptation de l’adhésion, à la double majorité, de la Suisse à l’ONU en 2002. « C’était un moment extrêmement important », dit le correspondant parlementaire retraité. Il revient encore sur l’élection de Christoph Blocher en 2003 et sa non-réélection Blocher ­quatre ans plus tard, deux « événements majeurs de l’histoire moderne ».

Il observe de près l’évolution et l’utilisation de la presse dominicale, surtout alémanique. Elle sort des enquêtes originales et fouillées, mais est instrumentalisée par les partis ou les lobbies qui ­veulent faire passer un message ou peser sur des décisions politiques à venir. « Et ça marche. L’agence donne volontiers un écho à ce qui est publié dans la presse dominicale. Pourquoi se priver de ce canal de communication ? », souligne le journaliste.

A mi-décembre 2021, il détaillait dans Le Temps ses presque 30 années de correspondance parlementaire. Il a fait le décompte : il a assisté à 150 sessions parlementaires et suivi 93 votations fédérales. Celle du 28 novembre marque un tournant : la contestation du certificat Covid a débordé dans la rue à un point tel que, ce dimanche-là, les abords du Palais fédéral ont été barricadés. « Naguère, les manifestations sur la Place fédérale étaient plutôt rares. Aujourd’hui, on investit plus fréquemment l’espace public et l’on manifeste parfois avec davantage de véhémence. La transformation du Palais fédéral en camp retranché le 28 novembre a été un véritable choc.


Bernard Wuthrich a commencé son stage de journaliste en 1982 à ce qui était alors La Feuille d’avis de Neuchâtel (FAN), ladite FAN qui s’est transformée en Express puis ArcInfo par la suite. Il est passé par La Suisse, L’Agefi, le Journal de Genève (JDG), puis a pris la responsabilité du bureau bernois du Temps à sa création en 1998. Il n’a aucune nostalgie. « J’ai fait mon temps, place aux jeunes », sourit-il. Toujours rigoureux et modeste, il peut néanmoins se féliciter et reconnaître que oui, il est fier de sa carrière.

1 commentaire

#1

Von Hammel Ger
19.03.2022
Félicitations, Bernard!
J'espère faire aussi bien que toi.
Nous regretterons ta rigueur et ton impressionnant savoir en matière ferroviaire.
Une petite remarque, si tu permets. La reprise "généreuse" de la presse dominicale, c'est du passé.
A savoir si c'est dû à la réduction des effectifs que nous avons subie, à des exigences renforcées sur un véritable intérêt public de l'info révélée, ou encore au fait que les dominicaux produisent moins de papiers justifiant une reprise par l'agence..

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