Actuel – 16.04.2018

Là où les journalistes se racontent

Sur journalistory.ch, site en ligne depuis décembre, des journalistes suisses parlent du métier devant une caméra en plan fixe. Le cinéaste Frédéric Gonseth explique la démarche.

PAR ALAIN MAILLARD

L’idée lui en est venue dans le cadre de son engagement dans Médias pour tous, Media forti ou encore Fijou. «A part quelques vedettes de télévision, les gens ne connaissent guère les journalistes, qui se mettent rarement en avant. Et le journalisme fait l’objet de peu de recherches universitaires. Nous avons voulu montrer les coulisses, combler un peu ce qui nous a paru comme un très gros manque.» Nous, c’est, autour du cinéaste vaudois Frédéric Gonseth, l’équipe qui a aussi récolté plus de 500 témoignages filmés pour Archimob, souvenirs de la deuxième guerre mon-diale, ainsi qu’environ 75 pour Humem, mémoires de l’action humanitaire.

Sur le même modèle, le projet journalistory est sponsorisé par la SSR, des cantons, divers donateurs (et les syndicats soutiennent la démarche). Le financement est encore en cours, huit témoignages (quatre romands et quatre alémaniques) étaient disponibles fin mars, parmi lesquels L’Hebdo se taille la part du lion: Anna Lietti, Chantal Tauxe, Alain Campiotti et bien sûr Jacques Pilet. Il est prévu d’en recueillir 50. A la différence des Plans-Fixes de personnalités romandes, le témoignage est centré sur l’activité professionnelle et fait l’objet d’un montage, avec un découpage par thèmes. Les entretiens intégraux sont conservés à l’usage des chercheurs.

D’où vient chez Frédéric Gonseth cet engagement en faveur du journalisme? L’auteur du documentaire Le Printemps du journalisme, d’une Chronique filmée de la grève à l’ats (en accès libre sur Youtube), le fondateur des associations Médias pour tous et Fijou (financement du journalisme) est devenu incontournable dans la défense des médias. Non par intérêt financier: les enregistrements pour journalistory sont modestement payés 1 500 francs et son activisme le détourne, dit-il, d’autres projets cinématographiques.

«Je suis passionné par la presse depuis l’enfance. A l’école, j’avais créé un journal qui s’appelait Nuances.» Un titre qui laisse songeur pour un militant passionné, qui rédigea par la suite un mémoire universitaire sur la presse suisse en 1932, autour de la fusillade qui fit treize morts à Genève, accomplit un stage de journaliste et dirigea La Brèche, revue politiquement engagée à gauche, avant de s’orienter vers le cinéma.

La flamme de l’information s’est réveillée en 2015, lors de la votation sur la redevance généralisée, acceptée de justesse. Il y avait alors la perspective d’une votation sur No Billag, il fallait défendre le service public, c’était aussi dans l’intérêt des cinéastes – c’est d’ailleurs pourquoi il récuse le terme «idéaliste» pour qualifier son engagement. Et pourtant: c’est lui qui a tenu à élargir les activités de Médias pour tous à la cause de la presse, à ne pas se cantonner à la défense de la SSR, et cela au prix de vifs conflits avec certains de ses alliés. Lesquels ont d’ailleurs conduit au gel d’un autre de ses projets, évoqué dans EDITO, celui d’une initiative populaire en faveur de la presse. Mais qui sait, peut-être son idée a-t-elle contribué au lancement, depuis, d’Artikel 93…

Jacques Pilet, créateur de L’Hebdo et du Nouveau Quotidien

«Dans de nombreuses rédactions aujourd’hui, le journaliste passe le plus gros de son temps le cul sur sa chaise, devant un ordinateur. Je sais, il y a toutes sortes d’excuses, et je suis d’accord pour une part. Mais avouons qu’il y a un certain confort à cela et qu’il n’est pas toujours facile d’aller à la rencontre des gens. Le métier est guetté par des processus industriels et des moyens technologiques qui le réduisent.»

«Cette société numérique peut produire des médias ouverts, curieux, exigeants. Il y a les médias d’aujourd’hui qui se transforment plus ou moins vite, et il y aura de nouvelles pousses inattendues. C’est pour cela que je suis très optimiste.»

Ueli Haldimann, ex-rédacteur en chef à SRF

«Je pense que les journaux imprimés ont une date-butoir. La presse à imprimer qui tourne la nuit, des personnes qui n’ont pas été gâtées par la vie et doivent livrer dès quatre heures du matin pour que d’autres aient un journal frais au petit-déjeuner, ce temps touche à sa fin.»

Anna Lietti, ex-journaliste à L’Hebdo et au Temps

«Il y a des cycles, probablement. Ce métier de journaliste, au départ, était quand même un métier plus du côté des saltimbanques que de l’industrie. C’est devenu une industrie quand il y a eu cette énorme manne publicitaire, puis les industriels ne s’y intéressent plus, alors c’est le moment de repartir sur des choses plus petites pour cultiver cette plus-value journalistique qui se pose les bonnes questions. Parce que pour transmettre les nouvelles, il n’y a plus besoin de journalistes, les robots sont là pour ça.»

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