Actuel – 25.09.2020

L’aide aux médias prend du retard

Le projet d’aide aux médias avance, mais plus lentement qu’on ne l’espérait. Il bute sur la question du soutien aux médias en ligne. L’aide à la presse écrite semble largement acceptée et fait l’objet de mesures nouvelles et généreuses.

Par Bettina Büsser

Le projet était bien lancé. Le Conseil fédéral avait élaboré un train de mesures en faveur des médias en trois parties (voir encadré), dont le principe avait reçu le soutien d’une majorité des acteurs concernés, y compris celui des associations de journalistes. La situation des médias suisses était déjà difficile, avant même la chute des revenus publicitaires provoquée par la pandémie de coronavirus. Il était nécessaire d’agir.

Pourtant, le projet a été sérieusement mis à mal. Le dossier bute sur l’aide en faveur des médias en ligne. Le Conseil fédéral prévoyait de leur fournir une enveloppe annuelle de 30 millions de francs au maximum. D’emblée, impressum et syndicom ont considéré cette aide comme trop faible. « Le soutien aux médias en ligne est un des moyens les plus importants pour continuer  à assurer l’information dans les sociétés démocratiques », analyse Urs Thalmann, directeur d’impressum. Pour Stephanie Vonarburg, responsable du secteur médias de syndicom, il s’agit « de la mesure d’aide qui est la plus orientée vers l’avenir, car elle permet d’atteindre réellement le lectorat plus jeune ».

Eviter la concentration. Mais les conceptions de l’avenir divergent. Les grandes maisons d’édition se heurtent au fait que le Conseil fédéral prévoit de soutenir uniquement les médias en ligne qui réalisent du chiffre d’affaires auprès des utilisateurs et que l’aide sera dégressive. Selon le projet du gouvernement, ces conditions sont importantes « afin d’éviter une concentration encore plus forte et de ne pas laisser les grands éditeurs en profiter de manière excessive ».

Dans un article, Peter Wanner, éditeur de CH Media et vice-président de l’associa-tion Médias suisses, qualifiait le projet de loi sur l’aide aux médias en ligne de « cadeau empoisonné », de « précipité » et de « trop peu réfléchi ». Il a adopté cette position même si l’association s’était exprimée en faveur du train de mesures, avant comme après la publication de l’article. Plus tard, Peter Wanner s’est à nouveau prononcé en sa faveur.

L’aide aux médias en ligne a aussi connu des difficultés au Parlement. Le Conseil des Etats est parvenu à un résultat agaçant et ambivalent. Il a accepté de justesse l’aide aux médias en ligne, mais a également refusé, avec une courte majorité, de lever le frein aux dépenses.

Puis, la Commission des transports et des télécommunications du Conseil national (CTT-N), chargée de la consultation préliminaire, a décidé de séparer le paquet de mesures et de discuter l’aide aux médias en ligne ultérieurement. Dix organisations de médias ‒ dont syndicom, impressum ou encore le SSM ‒ s’y sont farouchement opposées et ont demandé au Conseil national de ne pas séparer l’aide aux médias en ligne des autres mesures du projet.

Qualité des contenus amoindrie. Avec les voix du centre gauche, le Conseil national a décidé de maintenir le train de mesures en l’état, et de ne pas séparer l’aide aux médias en ligne. Le projet est à présent renvoyé à la CTT-N, avec le mandat de tenir compte de cette décision. Cette démarche implique cependant un retard, étant donné que le Conseil national n’en discutera qu’à la session d’hiver au plus tôt.

« Il reste à voir ‒ tout d’abord lors de son retour en commission ‒ si le train de mesures demeure effectivement groupé ou s’il risque de subir de nouvelles attaques », observe Urs Thalmann. Selon lui, le projet entame à présent un nouveau périple, alors que l’argent fait défaut partout et que certaines maisons d’édition voient déjà leurs décisions relatives au démantèlement du train de mesures confirmées : « La diversité des médias, et avant tout celle des contenus journalistiques, va être amoindrie. »

Selon Stephanie Vonarburg, il aurait été « désastreux » que le projet soit séparé et que le soutien aux médias en ligne soit renvoyé aux calendes grecques. D’après elle, le retard que prend le dossier est regrettable : « L’attitude parfois contradictoire de membres importants de l’association des éditeurs a certainement joué un rôle. »

Réductions dégressives. Si, à l’évi-dence, l’idée d’un soutien aux médias en ligne a suscité de nombreuses réserves, l’aide destinée à la presse écrite a, quant à elle, emporté une large adhésion ‒ les députés étaient même prêts à faire preuve de générosité. Le Conseil des Etats a complété les mesures proposées par le Conseil fédéral. Désormais, il est prévu que les grands journaux et les titres nationaux auront droit à une distribution postale moins chère.

La distribution anticipée des journaux et des journaux dominicaux sera elle aussi soutenue. Toutes ces mesures coûtent 120 millions de francs par an. Toutefois, le Conseil des Etats a également prévu que les réductions tarifaires pour les services postaux et la distribution anticipée seront dégressives : plus le tirage est élevé, plus l’aide par exemplaire sera faible.

« La suppression totale du plafonnement des tirages pose problème, car cette mesure bénéficiera avant tout aux grandes maisons d’édition », analyse Stephanie Vonarburg. C’est pourquoi il faut que l’aide à la distribution proposée soit « pour le moins fortement dégressive ». Les fonds publics doivent, selon elle, aider les professionnels des médias à produire un journalisme de qualité ; ils ne devraient en aucun cas venir s’ajouter aux dividendes, qui se comptent déjà en millions, des grandes familles d’éditeurs.

impressum craint aussi que les fonds publics ne viennent alimenter les bénéfices privés. Les subventions risquent d’être accaparées par les propriétaires d’entreprises justement parce que l’on aide désormais les titres à fort tirage ou suprarégionaux, qui appartiennent souvent à des sociétés de capitaux ou à des groupes médiatiques rentables. Pour Urs Thalmann, « théoriquement, l’argent public ne devrait jamais financer les gains privés, quelle que soit la taille de l’entreprise de médias ».


Aide aux médias : les décisions prises jusqu’à présent

Le rabais sur la distribution postale est augmenté pour les 154 titres de la presse régionale et locale qui en bénéficiaient jusqu’à présent. Tous les journaux quotidiens et hebdomadaires en abonnement recevront désormais des subventions indirectes, y compris les titres nationaux dont le tirage dépasse 40000 exemplaires et les titres faisant partie d’une association de journaux qui tirent à plus de 100000 exemplaires. Coûts : 50 millions de francs par an.

Aide aux médias en ligne (nouvelle loi) :

Les médias en ligne bénéficieront d’une aide pendant dix ans, pour autant qu’ils génèrent des recettes provenant du public par le truchement d’abonnements, d’accès journaliers, de contributions volontaires, etc. Le montant est calculé en fonction du chiffre d’affaires réalisé auprès du public et est dégressif (plus le revenu est important, moins le soutien par franc de chiffre d’affaires est élevé). Coûts : maximum  30 millions de francs par an.

Mesures générales d’aide en faveur des médias (modification de la loi fédérale sur la radio et la télévision) :

Les institutions de formation et de formation continue, les organismes d’autorégulation (Conseil de la presse), les agences de presse d’importance nationale (Keystone-ATS), ainsi que les projets informatiques bénéficieront de mesures de soutien. Coûts : 30 millions de francs par an.

Les modifications les plus importantes apportées par le Conseil des Etats :

Soutien indirect à la presse :
Il devient dégressif : plus le tirage est élevé, moins l’aide par exemplaire est importante. La distribution matinale des journaux et de la presse dominicale sera désormais aussi subventionnée. Coûts : 40 millions de francs par an. Les associations de presse et la presse associative recevront 30 millions de francs par année, contre 20 millions jusqu’à présent.

Soutien aux médias en ligne :
Bien que le Conseil des Etats ait approuvé la proposition du Conseil fédéral, il a refusé de lever le frein aux dépenses pour celle-ci.

Conseil national :
Une courte majorité de la Commission des transports et des télécommunications du Conseil national a voulu séparer le train des mesures et discuter de soutien aux médias en ligne « ultérieurement ». Le Conseil national, en revanche, a décidé à 109 voix contre 84 que l’aide aux médias doit demeurer partie intégrante du train de mesures. Le projet est renvoyé en commission et sera de nouveau débattu au Conseil national lors de la session d’hiver au plus tôt.

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