JAM à Pérouse – 21.06.2018

Le journalisme n’est pas un crime  

#youwriteyoudie: du Mexique à l’Égypte, en passant par l’Italie, des journalistes vivent dans la peur, menacés de toutes parts. Alors que des ONG comme Reporter sans frontières tirent la sonnette d’alarme, la vérité tue aux quatre coins du globe.

PAR QUENTIN PILET

Il s’appelait Javier Valdez. Reporter, écrivain, fondateur de l’hebdomadaire Riodoce, Javier Valdez a été tué par balle dans l’État mexicain du Sinaloa en mai 2017.

Elle s’appelait Daphne Caruana Galizia. Journaliste d’investigation, blogueuse, Daphne Caruane Galizia est morte dans l’explosion de sa voiture à Malte en octobre 2017.

Il s’appelle Mahmoud Abu Zeid. Photojournaliste freelance, Mahmoud Abu Zeid est emprisonné depuis 2013 en Égypte. Il risque la peine de mort.

Elle s’appelle Federica Angeli. Journaliste d’investigation pour La Republicca, Federica Angeli vit depuis 2013 sous protection armée. La mafia romaine veut sa peau.

Nous sommes en 2018, et des journalistes meurent encore pour avoir exercé leur métier. Les quatre noms ci-dessus font malheureusement partie d’une liste bien plus longue. En 2017, Reporters sans frontièrescomptait cinquante-cinq journalistes tués à travers le monde. Cette année, ils sont douze à avoir déjà perdu la vie. Selon l’ONG, plus de 300 journalistes sont en prison pour avoir fait leur travail. Les quatre noms cités plus haut sont donc des exemples parmi tant d’autres, mais des exemples concrets, de courage, de sacrifice et de travail pour la vérité. Engagés contre la corruption, la violence étatique ou la criminalité, tous ont payé le prix fort pour leur engagement.

«J’ai entendu une journaliste demander une arme, mais pas pour se protéger. Il lui semblait préférable de se suicider plutôt que de tomber aux mains des narcos», raconte Ivan Grozny Compasso, journaliste freelance ayant travaillé au Mexique. Ce témoignage extrême illustre les conditions du travail des médias dans le pays. Une véritable guerre entre autorités et narcotrafiquants (narcosen espagnol) gangrène le nord du pays, le long de la frontière américaine. Le trafic de drogue engendre immanquablement un clientélisme et une forte corruption au sein de la police et des autorités locales.

«Les journalistes sont attaqués sur plusieurs fronts, par les narcoset par les politiciens véreux. Il est presque plus dangereux de parler de corruption que de trafic», raconte Tiziana Prezzo, correspondante pour Sky News Italy. «Le système médiatique mexicain est propice à l’intimidation et la censure, analyse Cintya Rodriguez. Les journalistes sont très peu payés et les rédactions sont pour la plupart financées par de l’argent public. Il est donc facile de soudoyer un curieux ou d’empêcher la diffusion d’une information.»

Mais la meilleure censure reste l’assassinat. L’exemple de Miroslava Breach Velducea est parlant. Après son exécution, son quotidien a tout simplement fermé. Le Mexique connaît un véritable marketing de la peur. «On peut laisser un cadavre pourrir dans la rue pour impressionner les gêneurs potentiels», raconte Ivan Grozny Compasso.

Le Mexique se classe troisième du classement des pays les plus meurtriers pour les représentants des médias, derrière la Syrie et l’Afghanistan. Dans son bilan 2016, Reporters sans frontièrespointe des violences de plus en plus ciblées. L’organisation impute aux cartels criminels, à la police, mais également aux autorités corrompues l’assassinat de neuf journalistes en 2016. Au total, plus d’une centaine de professionnels ont été assassinés entre 2000 et 2016.

«Le mandat d’Enrique Peña Nieto est une présidence noire pour les médias mexicains», se désole Cintya Rodriguez, journaliste freelance. L’année 2018 est synonyme d’élection présidentielle pour le pays, mais aucun parti ne semble capable d’enrayer le phénomène. Pour Cintya Rodriguez, «Enrique Peña Nieto (ndlr. issu d’un parti de gauche) ne fait ni mieux, ni moins bien que son prédécesseur, le conservateur Felipe de Jesús Calderón Hinojosa. Le problème est bien trop profond.»

En mars, la correspondante du Timesen Égypte, Bel Trew, a failli être emprisonnée sans que personne n’en soit averti. Comme plus de 1500 personnes depuis l’arrivée du général Al-Sisi au pouvoir, la journaliste britannique aurait pu disparaître. Lors d’une enquête sur le transit de migrants dans le pays, le patron d’un café la dénonce à la police. Elle se fait arrêter et amener au poste, malgré des papiers en règle.

«Les policiers étaient très agressifs, ils ont refusé d’appeler mon ambassade ou un avocat. Personne ne savait où je me trouvais. Les policiers avaient plein pouvoir sur moi.» Au final, la journaliste sera amenée à l’aéroport et expulsée. «J’ai eu chaud. Légalement, j’aurais pu finir devant un tribunal militaire et finir dans une geôle sans que personne n’en sache rien, une disparue de plus.»

Ce récit témoigne des difficultés rencontrées par les journalistes étrangers et locaux en Égypte. «Pour le général Abdel Fattah Al-Sisi, la presse n’est qu’un outil, explique Declan Walsch, chef du bureau cairote du New York Times. Toute opposition est sévèrement réprimée, menant à une vraie chasse aux médias. Dans un discours, il déclarait que toutes les critiques envers l’État sont un acte de trahison.» L’objectif du pouvoir semble de tenir la presse en respect, silencieuse.

«Les médias locaux sont tous à la botte du pouvoir, les propriétaires des grands journaux sont tous plus ou moins liés au gouvernement. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que Al-Sisi ait emporté les élections avec 97% des voix», analyse Declan Walsh. Selon lui, la situation n’est pas près de s’améliorer. Le régime du général est bien trop important pour les Occidentaux.

«L’Égypte de Sisi est un rempart contre l’extrémisme religieux. Le régime réprime d’une main de fer les Frères musulmans et combat l’État islamique. De plus, le pays est aux portes de l’Europe et verrouille l’afflux de migrants. Personne ne veut d’une nouvelle Libye sur les rives de la Méditerranée. Finalement, l’Égypte est un vrai géant démographique, et donc économique. Il y a fort à parier que le général Sisi restera au pouvoir longtemps.»

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