Dessin: Gigal

Presse romande – 23.09.2019

Le rideau de rösti

Une dessinatrice romande (Caro) et un dessinateur alémanique (Gigal) échangent.

Gigal – Gabriel Giger
Les Romands aiment les blagues méchantes

Comment se porte le dessin de presse en Suisse allemande ? Qu’est-ce qui différencie les cartoonistes alémaniques de leurs confrères romands ? Bonnes questions. Mais, en tant que Valaisan, est-ce que je fais vraiment partie de la catégorie des dessinateurs alémaniques ? Demandez donc à un Haut-Valaisan s’il se considère comme un Suisse allemand. Vous récolterez des hochements de tête et des regards interrogateurs. En Haut-Valais, les Suisses allemands, c’est les autres.

Pourtant, le Haut-Valaisan n’est pas un Romand, et ce n’est pas qu’une question de langue. C’est pourquoi il est difficile de distinguer un Röstigraben en Valais ; on devrait plutôt parler d’un Raclettegraben qui sépare le canton du reste de la Suisse. Malgré tout, je suis un dessinateur de presse suisse de langue allemande, qui habite dans un canton à majorité romande. J’appartiens donc à une minorité dans la minorité…

Comment se porte la scène du dessin de presse en Suisse allemande ? Mieux que la scène américaine, heureusement. Tandis qu’aux Etats-Unis, la liberté de la presse est toujours plus restreinte – pensons au cas du New York Times –, les dessins de presse sont de plus en plus appréciés en Suisse alémanique. ­Cette faveur du public est acquise depuis longtemps en Suisse romande. Les dessins de presse font partie intégrante de la culture francophone. Cela s’explique par la tradition française du dessin animé et de la bande dessinée, longtemps négligée par nos journaux, mais qui a pris de l’importance ces dix dernières années.

Est-ce là la raison pour laquelle la satire et l’humour noir jouissent d’une meilleure considération en Suisse romande ? Alors que les Romands rient de bon cœur aux blagues méchantes, nombre de germanophones font la moue et préfèrent détourner le regard. C’est bien la plus grande différence qui sépare les deux côtés du Röstigraben. Car les deux cultures n’ont rien à s’envier en termes de dessin ou de qualité des plaisanteries.

Les contacts avec nos collègues romands sont rares. Tout au plus se croise-t-on aux expositions de bandes dessinées à Berne ou à Morges. La langue est une barrière de taille pour la satire, justement parce que son charme réside dans les détails et qu’elle s’inspire volontiers du langage familier. De nombreuses plaisanteries sont difficiles à traduire et y perdent leur effet humoristique.

En fin de compte, on ne peut que souhaiter un échange plus intense entre les deux cultures linguistiques. On organisera peut-être un jour l’exposition suisse allemande Gezeichnet à Morges ou une exposition francophone à Berne ? Mieux : montons-en une ensemble, en plein milieu du Röstigraben !

… où que celui-ci puisse bien se passer.

Gabriel Giger (Gigal) travaille pour le Walliser Bote et le Nebenspalter.

 

Caro – Caroline Rutz
Ils doivent décryptermes esquisses

Dix mois. Il y a presque un an donc, le journal alémanique local – le Bieler Tagblatt – pour lequel je travaillais déjà occasionnellement, me mandate pour réaliser chaque vendredi un dessin de presse sur l’événement régional marquant de la semaine. L’actualité biennoise étant rarement relayée par les dessins de presse, la rédaction trouvait pertinent de développer cet aspect dans son cahier qui aborde les sujets de proximité. Etant de pure souche romande (et même pas bilingue) et ayant un sens de la satire tout ce qu’il y a de plus « welsche », je me suis demandée ­ si les médias romands en feraient de même en mandatant un dessinateur alémanique. Pas sûr. Il est vrai qu’à ma connaissance il n’y a pas de dessinateur de presse alémanique à Bienne, mais je serai prête à parier que la rédaction considère qu’avoir une dessinatrice romande est une ouverture d’esprit et un apport intéressant. J’idéalise peut-être…

A priori, c’est le job de rêve pour moi : carte blanche pour un dessin à paraître chaque semaine dans le journal de ma région ! Celui que lisent beaucoup de gens de mon entourage ! J’aurai donc des réactions de la part des lecteurs !

Or, cela fait maintenant dix mois que je dessine pour le Bieler Tagblatt. Ça fonctionne plutôt bien. De mon côté, le défi principal est la différence de culture, et du côté de la rédaction… également ! En effet, ils doivent dans un premier temps décrypter mes esquisses avec des textes en français, les onomatopées, les titres qui ont parfois un doublesens. Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point c’est compliqué de traduire les textes, l’intention et ­ le gag dans un dessin ! Souvent, une personne de la rédaction me téléphone afin de clarifier un point. Ils se donnent énormément de peine et cela me touche beaucoup.

Ça a aussi ses côtés déstabilisants. En effet, je suis forcée de remettre mes propres références en question. J’avais, par exemple, dessiné une situation où un homme trimballait des poissons d’avril derrière sa voiture, à la manière d’une voiture. Il m’a fallu un certain moment pour comprendre que pour notre « poisson d’avril », les Alémaniques utilisent le mot «Aprilscherz», ce qui signifie « plaisanterie d’avril ». Rien à voir donc avec des poissons ! Mon esquisse n’avait évidemment aucun sens pour eux.

Je remarque que le cynisme n’est pas toujours bien perçu, car considéré comme trop méchant, surtout s’il est dirigé contre une personne. L’ironie ou l’humour sous une forme plus légère passe beaucoup mieux. Dire ce que je pense en prenant compte des sensibilités différentes, cela n’est pas évident.

Caroline Rutz (Caro) travaille pour Vigousse, le Bieler Tagblatt et d’autres médias.

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