M comme Marc-Henri Jobin – 30.08.2018

L’écrit vaut bien une messe

Cela fait plus d’un mois maintenant et il me manque. De retour de vacances où je l’avais oublié un peu, j’ai voulu passer le prendre. Je dû me raviser: il n’est plus là! Le Matins’est éteint. On le savait malade. Il n’en montrait rien. On a préféré ne pas y croire. Et pfuit!

Je me sens comme les vieux qui regrettent de vieillir, parce qu’ils voient trop d’amis disparaître et n’ont que leur souvenir. Après L’Hebdo, après Le Matin, à qui le tour? Dans la presse papier, on est sur le qui-vive. Ceux qui ne sont pas malades se tâtent le pouls. Les autres sont dans l’attente d’une nouvelle médecine: pas de soins palliatifs, mais d’un remède qui redonne force et tonus pour aller de l’avant et passer de nouveaux caps.

Cette thérapie régénératrice existe. Elle a pour nom «Loi sur les médias électroniques». Elle est en consultation et devrait passer au Parlement dès 2019. Mais comme toujours, tout sera question finalement de prescription et d’ordonnance.

Car à peine posée, la «notice d’emballage» du législateur déchire les potentiels patients. Plutôt que de chercher uniquement à promouvoir une production journalistique indépendante et variée, la LME conditionne comme par le passé l’aide de l’Etat au support média. Seuls les services en ligne y auront nouvellement droit, en plus des radios et télévisions, et uniquement pour des prestations fournies «sous forme essentiellement audio et vidéo». L’écrit ne sera pas soutenu, ou très indirectement en accompagnement d’images et de sons.

Au CFJM, on apprend à faire cohabiter sur le web l’image «qui montre», le son «qui raconte» et le texte et les infographies «qui expliquent». On y enseigne que photos et vidéos n’ont pas leur pareil pour faire passer les émotions, que le son valorise les histoires et les témoignages. Mais aussi que l’écrit est le mode d’approfondissement le plus efficace et offre un niveau de précision, d’explication et d’analyse supérieurs aux autres narrations.

Rares sont les internautes à consacrer beaucoup de temps à comprendre l’actualité. Le texte reste donc, en plus de l’image et le son, une condition de la qualité de l’information en ligne. Ne pas le soutenir, même sur les seuls supports électroniques, serait incompréhensible.

Le problème est constitutionnel, nous explique-t-on: il sera long et compliqué d’y remédier. Mais au moins peut-on tenter d’ici-là de convaincre le Parlement d’élargir la LME aux prestations «essentiellement écrites» pour le web?

Il y a un obstacle: y parvenir nécessitera des journalistes et des médias du courage et de la cohésion. Le bien commun de la profession devra passer devant le chacun pour soi.

Ce n’est pas gagné d’avance mais ça en vaut la peine. L’écrit, comme Paris, «vaut bien une messe». Une messe de couronnement s’entend! Même s’il faut faire le sacrifice de sa religion, comme le roi Henri IV le fit il y a 425 ans.

Votre commentaire

Veuillez remplir tous les champs.
Votre adresse e-mail n'est pas publiée.

* = obligatoire

Code de vérification *