Actuel – 05.09.2018

Médias et musulmans: «Il y a de quoi être inquiet»

Selon une étude commandée par la Commission fédérale contre le racisme à l’institut fög (Université de Zurich), les médias suisses «créent une distance» avec les musulmans. Patrick Ettinger a analysé «un échantillon représentatif» de 18 journaux suisses dans les trois régions linguistiques. La sélection d’articles, publiés entre 2009 et 2017, a été effectuée par mots-clés.

Selon cette étude disponible sur le site de la CFR (www.ekr.admin.ch), «on observe depuis 2015 une concentration croissante de la couverture médiatique sur les thèmes de la radicalisation et du terrorisme (54% à eux deux en 2017). Les articles portant sur l’intégration et le quotidien des musulmans en Suisse sont marginaux.» De plus, «la part d’articles créant de la distance par rapport aux acteurs musulmans de la Suisse augmente constamment de 2009 à 2017, de 22% à 69%. » Enfin, 55% des articles étudiés parlent des musulmans «sans leur donner la parole» et 25% «seulement en marge». Quand ils sont cités, ce sont «souvent ceux qui défendent des opinions bien tranchées».

Trois questions à la présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), Martine Brunschwig Graf.

EDITO: Vous attendiez-vous aux résultats de cette étude? Vous inquiètent-ils?

Martine Brunschwig Graf: Les résultats de cette étude sont conformes à ce que nous avons observé au fil des années. L’étude permet de faire un constat et ce constat n’est pas réjouissant dans la mesure où il montre une augmentation nette des articles qui créent une certaine distance à l’égard des musulmans. Ce phénomène, lié au fait qu’il peut y avoir aussi une tendance à la généralisation parfois, induit forcément, au sein de l’opinion publique, de la méfiance, voire du rejet envers les musulmans de Suisse.

Il y a donc de quoi être inquiet. A cette problématique s’ajoute le fait que les musulmans à qui on donne la parole sont souvent ceux qui ont un profil extrémiste ou polémiste. Tout ceci contribue à dénaturer l’image des musulmans. J’ajoute que les constats concernant les dangers de la généralisation, le fait que la parole soit rarement donnée aux minorités concernées, si ce n’est lorsqu’elles sont amenées à se justifier, ne concerne pas que les musulmans. La CFR a constaté cela lors d’une étude Fög en 2013 consacrée aux Roms et elle a fait les mêmes observations récemment à la suite d’une étude consacrée au racisme anti-noir.

L’actualité impose des sujets en lien avec la radicalisation et le terrorisme. Comment selon vous leur traitement pourrait-il être modifié de manière à ne pas «créer une distance» vis-à-vis des musulmans?

La liberté de la presse implique aussi la liberté du choix des sujets. Il n’est donc pas question de critiquer le fait que les médias parlent de terrorisme et de radicalisation. Il est nécessaire, en revanche, de ne pas en rester là. Il faut éviter, par exemple, de laisser entendre que les musulmans doivent s’exprimer pour désapprouver des actes dont ils n’ont pas à être rendus responsables. Il faut aussi éviter de réduire l’existence médiatique de l’islam et des musulmans aux attentats terroristes.

La Suisse compte de 350’000 à 450’000 musulmans, suivant la méthode de recensement. Un tiers sont des Suisses. Et pourtant une majorité de la population pense que les musulmans sont des étrangers. Comment vivent-ils leur citoyenneté? Quelle place occupe la religion dans un pays où l’on respecte l’Etat de droit? Comment éviter de réduire les personnes musulmanes en Suisse à leur seule religion? Une relecture critique des productions des médias durant ces dernières années pourrait aider à constater a posteriori ce dont il faudrait tenir compte.

La Commission fédérale contre le racisme « entend poursuivre le dialogue avec les médias », que donne ce dialogue jusqu’à présent?

Après avoir fait des constats de même nature lors d’une précédente étude que l’institut fög avait consacré au traitement médiatique des Roms, la CFR avait approché les centres de formation des journalistes en Suisse romande et alémanique. L’échange a été ouvert et constructif et il s’agissait d’une première étape de sensibilisation.

La publication de la présente étude a provoqué un regain d’intérêt de la part des médias et cet intérêt constitue une ouverture pour de futures discussions. La formation initiale et continue est un élément central de la problématique. Une réflexion sur l’usage des mots et des images – le célèbre slogan «le choc des mots, le poids des photos» n’a rien perdu de son actualité. Vient s’ajouter à cela la problématique des blogs publiés sur les sites web des médias ainsi que des commentaires des lecteurs rattachés aux articles publiés. L’étude Fög ne traite pas spécifiquement cette question. Mais la CFR constate que les médias sur Internet offre une caisse de résonnance qui peut démultiplier les effets de certains biais involontaires. Cela aussi mérite réflexion et discussion.

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