Actuel – 10.12.2020

« Nous voulons une culture à montrer, moins à débattre »

En Suisse alémanique, les observateurs relèvent une diminution des émissions culturelles à la radio et à la télévision. Les émissions littéraires, notamment, sont visées par la SRF. Entretien avec Philippa de Roten, cheffe du département Société et Culture à la RTS.

Par Jean-Luc Wenger

EDITO: Est-ce que vous notez une diminution des pages culture dans les médias écrits ?

Philippa de Roten: Peut-être. Mais c’est une évolution qui date de ces dix ou même de ces vingt dernières années dans la presse écrite. Des titres disparaissent, les paginations sont réduites puisque les rentrées publicitaires sont en baisse. J’avais déjà vécu des situations semblables lorsque je travaillais au Journal de Genève. D’après des sondages auprès des lecteurs, c’était malheureusement les pages culturelles qui étaient les moins lues. C’est donc là que l’on coupait. Est-ce un bon raisonnement ? Je pense que non.

Un média se doit-il tous les sujets ?

S’il est généraliste, oui. Prenez le quotidien Le Temps, ils ont supprimé la rubrique des sports il y a quelques années pour la réintroduire par la suite. Un quotidien généraliste doit proposer autant des critiques de musique classique, qui avaient également disparues un certain temps, que des analyses sur les phénomènes sportifs. C’est le cas aussi bien sûr d’un service public, comme la RTS. Cela dit, on dit toujours que dans service public, il y a le mot « public ». On doit donc aussi l’atteindre.

D’une manière générale, comment voyez-vous le paysage culturel ?

Le taux de « consommation culturelle » en Suisse est le plus élevé d’Europe. Il faut parler de « consommation » puisque l’on paie pour assister à un spectacle ou à un concert. La fréquentation des musées ou des cinémas est élevée, tout comme les achats de livres. L’attente du public est forte. Abandonner la culture serait une erreur, j’en suis convaincue. La direction de la SSR également. Maintenant il faut évoluer et réfléchir à la manière dont on la raconte. De plus, offrir de l’information culturelle fait partie de la concession.

En quoi la RTS soutient-elle la culture ?

Nous avons deux missions différentes. L’une spécifique pour le cinéma et la musique, l’autre pour les autres disciplines comme la littérature ou les arts visuels. Pour le cinéma, nous sommes un soutien à la production, grâce notamment au Pacte de l’audiovisuel. Nous sommes donc partie prenante dans la production cinématographique. Dans le cas de la musique, nous sommes avant tout un diffuseur. Mais nous organisons aussi des événements comme Label Suisse à Lausanne. Durant ce festival se glisse la Journée de la musique suisse, ce jour durant lequel toutes les chaînes nationales de la SSR diffusent de la musique suisse. Nous sommes aussi producteur de captations, comme c’est le cas pour l’Orchestre de chambre de Lausanne (OCL) ou l’Orchestre de la Suisse romande (OSR) avec qui nous sommes liés financièrement.

«Il faut que l’auditeur-téléspectateur trouve ce qu’il cherche, et c’est de plus en plus sur les plateformes numériques.»

Philippa de Roten

Pour la littérature et les autres disciplines, nous avons l’obligation de rendre compte et de couvrir ces domaines pour assurer le lien entre les créateurs et le public. Mais nous n’avons pas de mission de soutien financier ou d’éditeur.

Quelle est l’évolution de cette « consommation culturelle » ?

Le comportement des publics a complétement changé ces dernières années. Je prends souvent cette image : Il y a 10 ans, si vous habitiez un chalet à Evolène (VS) et que vous vouliez écouter un concert de musique classique, vous écoutiez Espace 2. Aujourd’hui, avec le digital, vous avez accès à tout ! L’offre est fragmentée. Elle est ciblée vers les attentes de chacun. Il faut que l’auditeur-téléspectateur trouve ce qu’il cherche, et c’est de plus en plus sur les plateformes numériques.

Espace 2, chaîne culturelle auparavant, s’est transformée.

Oui. Depuis le mois de mars, la chaîne diffuse essentiellement de la musique classique. Le traitement de la littérature, des sciences humaines ou des expositions a migré sur La Première ou sur le digital. Nous n’avons pas diminué l’offre, elle est simplement redistribuée. On a créé, par exemple, l’émission littéraire « Alice s’émerveille » de Manuella Maury. A SRF de mêmes types de réflexions sont en cours.

Quelles sont les évolutions à court terme ?

« La Puce à l’oreille » va disparaître des écrans au début de l’année prochaine et sera remplacée par une autre émission sur laquelle nous travaillons depuis plus d’une année. Ce sera une grande case culturelle le jeudi soir d’une durée de 90 à 100 minutes. Nous voulons une culture à montrer, moins à débattre. Bref, une culture vivante. Avec des captations, des directs, des documentaires. Le tout sera évidemment repris sur le numérique.

Vous avez un exemple de ce que l’on verra dans cette nouvelle émission ?

Fin octobre, le Théâtre de Carouge a dû annuler ses représentations de « Cyrano de Bergerac ». Mais nous avons pu capter la pièce et la diffuserons l’année prochaine lors d’une soirée spéciale avec une réflexions sur l’enseignement de « Cyrano » pour les jeunes. Je suis heureuse de pouvoir faire ça ! (Note : nous ne sommes pas seuls dans cette production car c’est le Fonds de la scène à l’écran avec la RTS qui co-produit : comme c’est trop long à expliquer, cette formule est plus correcte si tu es d’accord.)

Comment jugez-vous votre présence sur Internet ?

On avait du retard en culture avec la production audiovisuelle. Depuis septembre, nous nous améliorons avec un bon exemple : Le 24 octobre, l’OSR devait donner un concert gratuit au Victoria Hall de Genève pour les 75 ans de l’ONU. Les organisateurs ont appris au dernier moment que ce serait sans public. Nous avons mis en place, en trois jours, toute la structure pour un streaming en direct sur notre plateforme. L’audience n’était peut-être pas énorme, mais de toute manière plus large que si la salle avait été pleine…

Sur ce terrain, n’entrez-vous pas en concurrence avec les médias privés payants en ligne ?

Ce n’est pas la même bataille en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Ici, les relations sont moins tendues. Notre présence est avant tout marquée par l’audiovisuel. Même s’il y a parfois des petits textes, nous ne ferons jamais des papiers de 6000 signes. Nous ne publions jamais rien sans contenu audiovisuel. A l’inverse, les médias écrits produisent de plus en plus de son et d’image. Prenez le New York Times, c’est un média global. Nous avons tous cette tendance.

« Prenez le New York Times, c’est un média global. Nous avons tous cette tendance.»

Philippa de Roten

Est-ce que la RTS a des modèles ?

On parle beaucoup d’Arte qui est un vrai succès dans sa catégorie, même si le taux d’audience ne dépasse pas 2 %. Nous collaborons d’ailleurs avec Arte, par exemple pour la captation d’un concert à 360° au Victoria Hall, la fameuse 9e de Beethoven enregistrée en juin. On le trouve sur le « Play RTS » « concert ». Musiciens et choristes étaient disposés en cercle répartis dans la salle, le chef au milieu. C’était assez spectaculaire et ça a très très bien marché !

Au-delà de la plateforme « RTS-culture », que proposez-vous ?

Nous envoyons, depuis le printemps et tous les vendredis, une Newsletter nommée « qwertz ». Elle résume les diffusions de la semaine écoulée et renvoie à l’écran de l’émission. On y trouve aussi les prochains rendez-vous, parfois des archives ou encore un agenda. En quelques mois, nous avons 3000 abonnés.

Que pensez-vous des quotas pour la diffusion de la musique suisse ?

Nous n’y sommes pas favorables, mais c’est une grande discussion avec nos partenaires. Nous avons une convention qui nous engage à diffuser une part importante de musique suisse. Nous avons un monitoring une fois par année et la moyenne, toutes chaînes confondues, se situe à plus de 20 %.

La RTS est souvent accusée de lémano-centrisme. Qu’en pensez-vous ?

Les Sociétés des auditeurs, téléspectateurs et internautes de la RTS (SRT) régionales sont très attentives et nous font part de leurs doléances. En 2019, sur trois mois, nous sommes arrivés avec les trois émissions phares « La Puce à l’oreille », « Vertigo » et le « 12h45 » à une représentativité équilibrée.

Philippa de Roten

1968 : Naissance à Sion.
1997 : Journaliste au Journal de Genève, elle anime aussi l’émission culturelle « Cadences » sur ce qui était la TSR.
1998 : La fin du Journal de Genève où elle a tant appris.
2001 : Elle présente le téléjournal de 12h45.
2016 : Nommée à la tête du département Société et Culture de la RTS.

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