Kremlin Press Office

Actuel – 22.05.2018

Où sont les femmes dans les médias européens?

La couverture médiatique en Europe est dominée par des journalistes et des commentateurs de sexe masculin écrivant principalement à propos d’autres hommes, comme le montre une récente étude collective du réseau EJO sur la presse écrite et en ligne. En Suisse, près de la moitié des articles de journaux papiers sont écrits par des hommes. 

Par le réseau EJO.

La prédominance des hommes dans l’élaboration et la couverture de l’agenda de l’information persiste malgré le fait que dans la plupart des 11 pays étudiés, les femmes représentent près de la moitié du nombre de journalistes.

Les chercheurs ont examiné les articles publiés et les images qui accompagnent les articles et ont constaté que dans presque tous les médias étudiés, tant imprimés que numériques, ce sont des hommes qui écrivent l’essentiel du contenu dans les rubriques d’actualité, économie et dans les pièces d’opinion. Dans l’ensemble, 41% des articles avaient été signés par des hommes contre seulement 23% pour les femmes, tandis que près de la moitié (43%) des photos publiées représentaient uniquement des hommes, contre 15% seulement des femmes.

Les femmes perdantes dans l’imprimé et le numérique

L’étude révèle que le déséquilibre entre les sexes tend à être plus prégnant dans les médias imprimés traditionnels que chez leurs concurrents en ligne. Globalement, les médias numériques peuvent se targuer d’une répartition légèrement plus égalitaire, toutefois chez eux aussi une majorité des contenus sont signés par des hommes masculins et les photographies représentent davantage d’hommes. Dans certains pays et médias, un plus grand nombre d’articles était signé par des agences anonymes que par des reporters féminins.

Les pays où le plus grand déséquilibre entre les sexes a été constaté sont l’Italie et l’Allemagne. En Allemagne, 58% des signatures étaient masculines et seulement 16% féminines, tandis qu’en Italie, 63% des signatures étaient masculines (le pourcentage le plus élevé parmi les 11 pays) et seulement 21% féminines. Le reste était composé d’articles sans signature et/ou d’agence.

Le pays le plus inégal en termes d’utilisation de photos était l’Ukraine, où 49% des images ne représentaient que des hommes, contre 10% qui ne représentaient que des femmes.

La seule exception à la suprématie masculine était le Portugal, où les signatures féminines étaient plus fréquentes que celles des hommes : 31% contre 20%. Mais même ici, l’utilisation de photographies d’hommes a éclipsé celle des femmes, avec 49% contre 12%.

Méthode

L’étude, menée par l’Observatoire européen du journalisme (EJO), est basée sur une analyse systématique des rubriques actualité, économie et commentaires de deux journaux imprimés et de deux médias numériques dans chaque pays, deux jours par semaine pendant quatre semaines en janvier et février 2018. Les pays inclus dans l’étude sont la République tchèque, l’Allemagne, l’Italie, la Lettonie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne, la Suisse, l’Ukraine et le Royaume-Uni.

Afin d’uniformiser la récolte des articles, seules les 15 premières pages de chaque journal imprimé ont été prises en compte, en partant du principe qu’elles présenteraient les articles les plus importants de la journée. Pour les médias numériques, les 20 premiers articles affichés sur la page d’accueil et se rapportant aux rubriques actualité, politique et économie, ont été choisis. Les articles relevant d’autres domaines comme la culture, la santé, ou le «lifestyle» ont été omis, tout comme les sections sportives.

Les résultats ont provoqué un certain désarroi parmi les femmes journalistes à travers l’Europe, dont certaines attribuent le déséquilibre à une culture fortement ancrée dans les salles de rédaction, perçue comme machiste et exigeante, en particulier en termes d’horaires longs et peu compatibles avec une vie familiale.
La professeure Suzanne Franks, directrice du département de journalisme à la City University de Londres et auteure de plusieurs études historiques sur les femmes dans le journalisme, a déclaré que l’étude mettait en évidence des inégalités de longue date dans le journalisme.

«Une étude aussi vaste et complète comparant les disparités entre les sexes dans autant de pays, c’est une très bonne chose. Ce qui est moins réjouissant, c’est la persistance des disparités au sein de ceux qui sont publiés et de ceux qui figurent dans les images d’actualité. Espérons qu’en soulignant une fois de plus ces disparités sexuées dans le journalisme, nous verrons surgir des efforts concertés en vue d’un changement».

Remise en question souhaitée

Susanne Klingner, journaliste allemande au bénéfice d’une longue expérience dans le domaine de l’égalité, avec notamment la création de Plan W, un magazine économique pour les femmes de la Süddeutsche Zeitung, n’est pas surprise des résultats concernant l’Allemagne: «Dans toutes les études de l’OCDE, l’Allemagne se situe au bas de l’échelle en ce qui concerne l’équilibre entre les sexes. J’aimerais pouvoir affirmer que ce mauvais résultat est dû au choix des médias d’information puisqu’il l’étude n’a pas inclus de titre progressiste comme SZ ou Die Zeit, mais je crains que cela n’aurait pas changé grand-chose.» Selon Klingner, l’amélioration de l’équilibre entre les sexes n’est pas encore un impératif commercial en Allemagne, malgré les tentatives de certains journaux, comme Die Zeit, d’améliorer le ratio entre le personnel masculin et féminin. «95% des journaux allemands sont dirigés par des hommes.»

«J’ai vu cela tant de fois. Les jeunes professionnels au sein d’un média ne sont pas jugés sur leur performance, mais sur des sentiments et les vieux journalistes masculins blancs (un autre aspect du manque de diversité en Allemagne) se sentent proches des jeunes journalistes masculins blancs. Ils se voient eux-mêmes quand ils débutaient et favorisent leur promotion. Beaucoup de jeunes femmes restent invisibles, aussi talentueuses soient-elles. Elles n’ont tout simplement pas le même nombre de soutiens dans l’entreprise. Le jour où il y aura suffisamment de femmes dans les postes de direction, cela va changer… L’échec des entreprises de presse est qu’elles pensent qu’être progressiste signifie avoir une ligne éditoriale progressive, mais pas nécessairement être une entreprise progressiste. Quant aux entreprises conservatrices, elles ne s’en soucient pas.»

Situation en Suisse (retrouvez tous les pays de l’étude ici)

Pour cette étude, deux publications en allemand (le quotidien de référence Neue Zürcher Zeitung et le site d’information Watson) ont été examinées, ainsi que deux en français (le quotiden lémanique Le Temps et, en l’absence de pure-player romand, le site d’information du radiodiffuseur public RTS Info).

Comme dans la plupart des autres pays d’Europe, les signatures des publications de ces quatre médias sont majoritairement masculines : des hommes ont signé 38% de l’ensemble des articles étudiés, les articles signés avec des agences viennent ensuite (27%), tandis que les journalistes femmes n’en signent que 16%. De légères différences ont été relevées entre les médias francophones et germanophones (28 % de signatures d’hommes comptées contre 15% de femmes dans les médias francophones et 39 % contre 14 % dans les médias germanophones). Mais les différences entre les deux langues sont quasi-inexistantes au niveau des photos. Les médias en ligne présentent un écart beaucoup plus faible entre les hommes et les femmes pour les signatures d’articles (19% pour les hommes et 11% pour les femmes) par rapport aux journaux papier, où près de la moitié des articles (48%) ont été écrits par des hommes, tandis que les femmes n’ont fourni qu’environ 18% des articles.

La relative absence féminine dans la signature d’articles se reflète également au niveau visuel : dans l’ensemble, seulement 11% des photos montrent exclusivement des femmes, alors que les hommes sont exclusivement représentés dans 42 % des photos. Les 47 % restants ne montrent ni l’un ni l’autre ou des protagonistes des deux sexes simultanément. Si l’on considère les deux types de médias séparément, les différences restent légères. Dans les médias en ligne, une minorité d’images montraient uniquement des femmes (10%), alors que la plupart d’entre elles ne représentaient ni l’un ni l’autre (53%) ou des hommes (37%). Dans les médias imprimés, plus de la moitié de toutes les photos montraient des hommes (55%), tandis que 32% représentaient les deux sexes ou aucun des deux, et les femmes étaient également légèrement plus représentées mais encore faibles (13%).

Il faut relever que ces constats ont parfois déjà été faits au sein des rédactions. L’équipe numérique du Temps avait par exemple quantifié la présence féminine dans ses colonnes en 2017, et pendant que EJO compilait les présentes données, Jean Abbiateci s’est livré à nouveau à un exercice similaire dont il rend compte dans une série de tweets.

Sylvain Bolt

Sylvain Bolt

Journaliste Web pour Edito.ch/fr. Diplômé de l'Académie du journalisme et des médias de l'Université de Neuchâtel.

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