M comme Marc-Henri Jobin – 21.06.2018

Pas de miracle pour Presse+

«Ils s’y rendaient en pèlerinage, en revenaient illuminés, comme s’ils avaient vu la Vierge…». Par «ils», Louis Ruffieux, ancien rédacteur en chef de La Liberté, entend les éditeurs et les journalistes qui ont cru voir, dans la conversion du quotidien québécois La Presse au tout numérique«le» modèle qui allait sauver les journaux généralistes de la dépression.

Patatras! La Presse+ n’incarnera pas ce nouveau modèle intégralement numérique, de qualité, gratuit et rentable que d’aucuns avaient espéré. Le 8 mai, les frères Desmarais, propriétaires du titre, ont mis fin au bal des illusions après avoir engagé 40 millions de dollars canadiens (30 millions de francs) dans le projet. Certains pensent que leur société Power Corp a perdu bien plus, vu la chute de 400 millions en 5 ans de la valorisation des «autres filiales» où était rangée La Presse.

Pour ne pas tout perdre et sortir la tête haute, les milliardaires canadiens ont promis 50 millions supplémentaires pour transformer le titre en «organisme sans but lucratif». But: permettre à La Presse – devenue intégralement numérique à fin 2017 – d’obtenir des dons privés défiscalisés et des subsides de l’Etat. Message: aux mécènes et aux autorités de jouer!

On peut craindre que tout ne soit pas si facile. Outre la stupeur des 500 employés mis au bord de l’abîme, on peut imaginer celle des titres concurrents. Des journaux qui peuvent craindre que les aides prévues au budget de l’Etat 2018 pour soutenir la presse en difficulté ne soient vampirisés par un seul acteur. Si tout le monde s’entend à vouloir sauver La Presse, personne ne s’accorde sur le mode opératoire, de peur que le jeu ne soit biaisé.

En serait-il de même en Suisse? Pas forcément. Ce sera sans doute la force de la nouvelle Loi sur les médias électroniques (LME) qui prévoit que la Confédération puisse à terme soutenir les médias au-delà du cercle restreint des radios et télévisions publiques et privées. A en croire la NZZ, les titres de presse devraient pouvoir prétendre à ce soutien, dans la mesure où eux aussi participent au «service public».

L’aide ne sera pas pour autant discrétionnaire. Elle sera limitée aux contenus numériques. Et qui l’obtiendra sera soumis à un «mandat de prestation». C’est ce que rejettent les grands éditeurs, qui ne veulent pas voir leur liberté éditoriale et financière entravée par des quotas de parole, d’information ou de publicité.

Leurs craintes sont légitimes. Pour autant, il n’y a pas lieu qu’elles empêchent d’autres éditeurs et titres, non cotés, régionaux ou locaux, de bénéficier d’une aide directe de l’Etat pour assurer leur présence sur le web. Un soutien numérique qui leur permettra le cas échéant de régater à armes égales avec les radios et télévisions privées et de garantir aux citoyens un bien irremplaçable: la diversité des points de vue et la richesse des opinions.

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