Urs Schneider, un publicitaire contre «No Billag»

SERVICE PUBLIC – 18.12.2017

Pas grand-chose à gagner

Les chaînes de télévision ou de radio de la SSR pourraient-elles vivre de la publicité si elles étaient privées de la redevance? Qui profiterait de la manne si le service public disparaissait? Les réponses de deux spécialistes.

Par Bettina Büsser

C’est aussi, comme toujours, une question d’argent. Dans le sort qui sera réservé à la Société suisse de radiodiffusion le 4 mars, l’enjeu porte sur près de 300 millions de revenus publicitaires et de sponsoring (en 2016). L’idée d’en récupérer au moins une partie occupe les pensées de certains acteurs de la branche mé­diatique en Suisse. Les chaînes de TV privées, notamment, mais aussi les éditeurs de presse, qui réduisent massivement leurs coûts en raison de la chute des annonces.

Dans son Manifeste politique publié en septembre, l’association des éditeurs Schweizer Medien affirmait soutenir le financement du service public par la redevance, mais ajoutait que la SSR devrait «renoncer à tout nouvelle forme de commercialisation. A plus long terme, elle devrait se passer com­plètement de publicité et de sponsoring, et réduire petit à petit la commercialisation de ses programmes.»

Où partiraient les recettes publicitaires de la SSR si celle-ci disparaît? Nous avons posé la question à Urs Schneider, propriétaire de l’agence Mediaschneider, qui conseille des entreprises dans leurs investissements publicitaires. «Principalement, répond-il, dans la publicité en ligne et l’affichage.» Si la tendance actuelle à la communication vidéo continue, ce sont surtout les plateformes comme Youtube, Google ou Facebook qui en profiteraient.

Selon Urs Schneider, c’est la largeur de diffusion qui motive les annonceurs à investir dans des publicités télévisées. Si la SSR n’existait plus sous sa forme actuelle, plus de la moitié de l’impact obtenu par le canal télévisé serait perdu. «Quand l’audience diminue, l’efficacité diminue tout autant. Les annonceurs s’adresseraient à d’autres médias dont ils peuvent attendre un impact massif, et des campagnes d’affichage représenteraient une alternative réaliste.»

Bien sûr, ajoute-t-il, les télévisions privées suisses et surtout les fenêtres publicitaires des chaînes étrangères pourraient profiter de la disparition d’un concurrent. «Mais probablement pas autant qu’on pourrait le penser de prime abord.» A défaut de disposer des audiences de la SSR, on peut s’attendre ­selon lui à ce que moins de campagnes d’annonces TV soient menées en Suisse.

Que les sommes «libérées» par la disparition du service public audiovisuel soient investies dans la presse, Urs Schneider l’estime improbable. Pour ­beaucoup de clients potentiels, les annonces imprimées ne remplacent pas les spots TV. «L’argent publicitaire est attiré par les médias qui obtiennent la plus grande attention. La diffusion des journaux recule depuis des années, et cette situation ne changerait pas en cas de démantèlement de la SSR.»

Membre de la présidence de l’association «Nein zum Sendeschluss» (Non à la fin des programmes), qui combat No Billag, Urs Schneider juge l’initiative «nuisible à l’économie», parce qu’elle ne signifierait pas seulement la fin de la SSR, mais aussi celle de ­beaucoup de stations locales de radio et de télévision qui reçoivent une part de la redevance. Cette perte d’opportunités affecterait les annonceurs et toute la branche de la communication.

Financer la SSR par des abonnements et la publicité, à défaut de redevance? Il n’y croit pas non plus. «Ce que la SSR a encaissé l’an dernier ne suffirait de loin pas à couvrir l’ensemble de ses programmes. Même si elle pouvait vendre des espaces sans aucune limite à la télévision, la radio et sur internet, ses revenus pourraient dans le meilleur des cas ­atteindre un demi-milliard. Ce ne serait pas encore assez pour remplir son mandat de service public.»

Que les chaînes de radio publiques, presque exclusivement financées aujourd’hui par la redevance, puissent compenser largement sa perte par l’ou­verture d’espaces publicitaires, Hans-Ueli Zürcher, propriétaire de The Cover Media, ne le croit pas non plus. Depuis plus de vingt ans, il vend et produit des spots radiophoniques. Selon lui, le potentiel de revenus serait loin de suffire aux besoins des chaînes de radio de la SSR. «Beaucoup de stations privées doivent déjà se battre pour survivre, et même si elles reçoivent une part de la redevance, elles sont soulagées quand elles parviennent à équilibrer leurs comptes.»

Si les radios de la SSR entraient sur le marché publicitaire, cela pourrait selon lui donner un nouvel élan à la publicité radiophonique – mais au détriment des stations privées, parce que les annonceurs nationaux choisiraient alors les chaînes diffusées dans l’ensemble du pays. Il ne croit pas que la part de la radio dans le gâteau publicitaire pourrait dépasser les 6%: «Même si l’ouverture des radios publiques gagnait un pour cent supplémentaire, cela ne suffirait jamais à les financer suffisamment. La suppression de la redevance ferait disparaître des chaînes de radio.»

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