Le Quotidien jurassien sur la rotative. Le canton a récemment diminué son nombre d’abonnements. Photo: Archives Roger Meier

Presse romande – 06.01.2020

Cantons romands au secours de leur presse, vraiment ?

En 2018, la Suisse romande ouvrait les yeux sur la fragilité de sa presse avec la mort du Matin papier. Des cantons sont montés au front pour défendre le quatrième pouvoir. Un an après, que reste-t-il des promesses ?

Par Alain Meyer

Dans les bureaux et cafétérias des adminis­trations cantonales de Suisse romande, le journal papier tient toujours solidement son rang. Il n’a pas encore disparu au profit du tout digital. Souscrire un abonnement à tel ou tel média relève souvent encore des budgets de chaque service ou direction. S’il est difficile de chiffrer l’engagement financier réel de l’ensemble des cantons romands en faveur de la presse, des tendances se dessinent. Tous les gouvernements ne manifestent pas la solidarité ­affichée par le canton bilingue de Berne où projets et idées abondent.

Frilosité en Valais

A la question de savoir si, en Valais, la presse régionale a encore les moyens économiques de bien faire son travail, la réponse d’André Mudry, porte-parole du canton, se drape de précaution. « Il n’appartient pas au gouvernement de juger son travail à l’aune des moyens dont elle dispose. » A Sion, on se dit cependant attaché au maintien d’une presse locale de qualité et indépendante mais on reste un peu timide sur l’aide à apporter aux médias. Aucune mesure supplémentaire n’a été prise depuis 2018 pour voler au secours de la presse régionale, exceptée une prise de position en phase de consultation de la loi sur les médias électroniques.

Le Valais y avait défendu le rôle des radios et TV régionales et celui de l’ATS. Le principe « d’une aide indirecte plus importante pour la presse » a aussi été édicté, rappelle André Mudry. Le projet de loi de Doris Leuthard a depuis été abandonné, mais le Valais peut se réjouir des propositions plus rapides et efficaces que Simonetta Sommaruga, à la tête du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), a exposées en reprenant le dossier. Elles seront débattues ce printemps à Berne.

Repenser le cadre

A Fribourg et Neuchâtel, on serait plus enclin à considérer la révolution numérique comme une menace existentielle pour la presse écrite, les radios et TV. « Il faut repenser le cadre général dans lequel ces médias évoluent plutôt qu’intervenir de façon directe, ce qui poserait des questions de légitimité et d’indépendance de l’info », se défend Pierre Vaudan, chargé de la communication pour le canton de Fribourg. Chaque direction de son administration a les coudées franches pour s’abonner à tel ou tel journal, mais le nombre exact de souscriptions n’est pas connu.

Neuchâtel est plus précis dans son décompte. « Le nombre d’abonnements annuels s’élève à 150 au quotidien ArcInfo pour un budget de 50 000 francs », révèle Basile Weber, chargé de la communication au canton. Un chiffre stable. Des abonnements en versions papier et digitale de titres régionaux, mais aussi romands et alémaniques.

Comme le Valais et Fribourg, Neuchâtel prône aussi la séparation des pouvoirs. « Le gouvernement n’est pas compétent pour se prononcer sur la ­capacité financière de la presse régionale à faire son travail convenablement », affirme Basile Weber. En revanche, Neuchâtel promeut une meilleure répartition de la redevance dont profitent les radios et les TV régionales. De plus, le canton dit vouloir rester attentif à l’évolution du secteur – les conditions d’exercer les métiers du journalisme – et sensible aux défis de la branche. Mais le politique peine à s’immiscer dans un univers où l’économie domine.

Avanti Aventinus

Le canton de Vaud se méfie, lui, de l’idée de créer une fondation cantonale pour les médias. Il mise sur une nouvelle base légale « pour soutenir des efforts collectifs avec des mesures intercantonales », avance Laurent Koutaïssoff, vice-chancelier du canton. Vaud n’est pas opposé à participer à la nouvelle Fondation Aventinus que préside l’ex-conseiller d’Etat genevois François Longchamp et dont l’ambition est de redynamiser la presse romande via des dons de mécènes et fondations (Leenaards, Michalski, Wilsdorf). Voire à d’autres ini­tiatives de ce type.

Encore bien englué dans l’affaire Pierre Maudet, le canton de Genève se dit pour sa part « très préoccupé par le mouvement de concentration des médias en ­Suisse, notamment sur l’arc lémanique ». Genève salue donc l’arrivée d’Aventinus et déclare vouloir accom­pagner cette opération survie. « Le canton mène une réflexion avec d’autres villes et cantons romands pour trouver des solutions d’aides complémentaires à celles, indirectes, de la Confédération », avance Florence Noël, directrice cantonale de l’information, mais sans en dire davantage.

« Recadrage »

Dans le Jura, le recours aux abonnements électroniques est recommandé « pour autant qu’ils soient adaptés », selon le responsable de la communication Jacques Chapatte. Chaque matin, il se fend d’une revue de presse digitale à l’attention des directions du canton. La presse papier conserve son attractivité dans le Jura. Mais il s’inquiète de la mue digitale que ladite presse doit aujourd’hui opérer pour perdurer. « Tous les jour­naux ne disposent pas d’une offre intégrée », se préoccupe-t-il. En attendant, son canton « recadre ».

Le nombre d’abonnements au Quotidien Jurassien a diminué d’une dizaine d’exemplaires en 2019. « Le canton dispose d’un peu plus de 80 abonnements pour l’ensemble des départements, services, écoles, cafétérias, ce n’est pas négligeable », s’affranchit-il. Montant de l’aide directe du Jura à la presse sous forme d’abonnements au QJ mais aussi à d’autres titres (Le Temps, le Journal du Jura, etc): un peu plus de 30 000 francs par an. Un chiffre qui n’a pas bougé depuis longtemps. « Une dizaine d’abonnements – des doublons ou des exemplaires jugés inutiles par les services – ont été supprimés par souci d’économies », dit-il. Et justifie la petite saignée par souci de rationalisation.

Dans une question au gouvernement, le député Pierre-André Comte (PS) évoque une économie « bout de chandelle » et parle de « contradiction flagrante » avec le vœu des autorités jurassiennes de soutenir la presse…

Mesures plus concrètes à Berne
Depuis un an, le canton bilingue de Berne multiplie les appels pour venir en aide aux médias. Si, lui aussi, voit d’un mauvais œil toute aide directe aux médias, le gouvernement suggère au Grand Conseil d’explorer quatre mesures d’aide indirecte :1) soutien financier à Keystone-ATS pour renforcer la couverture régionale des rédactions bernoises ; 2) création d’une plateforme numérique cantonale pour les médias, mais aussi pour les partis et communes ; 3) promotion des compétences « médias » chez les jeunes ; et 4) création d’une fondation d’aide aux médias. Des solutions « sur mesure » sont aussi envisagées pour les médias francophones du canton (Journal du Jura, Radio Jura bernois, etc), en raison du statut particulier de la minorité linguistique. Berne prend les Grisons et ses médias rhéto-romans comme modèle.Ex-journaliste de l’ATS au Palais fédéral, et pour quelques semaines encore au service bernois de la communication avant de rejoindre le DETEC, Emanuela Tonasso Demmler connaÎt bien son sujet. « Les rédactions locales ont fait l’objet de mesures d’économie importantes depuis deux décennies. Moins de journalistes doivent aujourd’hui produire davantage d’articles. Les localiers n’ont plus le temps d’enquêter sur le terrain. Cette évolution est problématique car elle impacte le fonctionnement de la démocratie directe. La politique cantonale a besoin d’un accompagnement solide et critique de la part du 4e pouvoir », lâche-t-elle. Pour redonner aussi accessoirement goût aux citoyens lambda d’aller voter en pleine connaissance des dossiers.Rien que pour sa chancellerie, le canton de Berne a alloué, cette année, un budget de 50 000 francs destiné aux abonnements médias. A quoi il convient d’ajouter les abonnements de l’ensemble des directions du canton. « Aucun glissement vers des abonnements digitaux n’a été noté. Les deux formats sont actuellement utilisés à la chancellerie bernoise, à l’exception du Matin Dimanche (version digitale seule) », conclut-elle.

Votre commentaire

Veuillez remplir tous les champs.
Votre adresse e-mail n'est pas publiée.

* = obligatoire

Code de vérification *