Actuel – 16.07.2018

Fathi Derder: «Je ne comprends pas les doutes des éditeurs.»

La plate-forme «timoty», pensée comme une sorte de spotify des médias romands, veut redynamiser le secteur des médias payants. Interview avec Fathi Derder (conseiller national PLR vaudois et rédacteur en chef de l’Agefi jusqu’à la fin du mois de juillet). Il est l’un des trois moteurs du projet avec son collègue de parti, le conseiller national valaisan Philippe Nantermod et Gregory Logan, fondateur de start-up et expert en réseaux sociaux.

EDITO: Pourquoi l’idée d’un spotify des médias romands?

FATHI DERDER: L’idée vient simplement d’un constat de consommateur. Il n’est pas possible de demander à quelqu’un de prendre cinq abonnements pour lire cinq journaux. C’est condamner la profession. Le modèle économique des médias n’est pas compatible avec la consommation numérique qui a évolué et qui fait qu’on est tenté de lire des informations de plusieurs sites. Devoir s’abonner à plusieurs titres n’est économiquement pas très intéressant pour le consommateur mais pas très cohérent non plus du point du point de vue des producteurs d’informations, qui ferment la porte à énormément de lecteurs. Notre idée est de proposer un abonnement unique qui permette l’accès au contenu de plusieurs titres différents.

«La verticalité, c’est la mort de l’information car elle doit pouvoir circuler.»

 

Le modèle d’un média qui propose un «emballage» des 50 ou 100 nouvelles intéressantes du jour ou de la veille qu’il résume pour le lecteur, dans une logique verticale, était cohérent il y a 50 ans, lorsque ce dernier n’avait pas accès à l’information. Aujourd’hui, nous n’apprenons plus en recevant le journal, car l’arrivée d’informations est permanente. La distribution numérique est horizontale. La verticalité, c’est la mort de l’information car elle doit pouvoir circuler. Et dans le monde de consommation numérique, les médias ont le rôle indispensable de nous certifier qu’une information est vraie.

Comment financer votre plateforme ?

Dans un premier temps, nous allons faire appel au crowdfunding pour lancer le projet dès la rentrée. Le financement doit se faire ensuite par la vente d’information, donc par le nombre d’abonnés et l’achat d’informations à la pièce, une forme qui devrait être introduite. Les éditeurs contactés, Tamedia et Ringier, sont intéressés par le projet et l’idée de mettre à disposition leurs contenus. L’idée est maintenant de proposer un produit, qu’on va développer d’ici l’automne pour lancer la plateforme. Un modèle australien existe, Inkl, et c’est exactement ce qu’on aimerait faire, en y ajoutant une fonction de réseau social pour pouvoir partager les articles. Quelque 200’000 francs sont nécessaires au début et 300’000 francs devront être encore trouvés dans un second temps. En terme technique, il y a aura énormément de travail marketing à réaliser.

Quels journaux retrouverait-t-on au sein de votre plateforme ?

Un site comme Inkl a aujourd’hui dans ses sources une quarantaine de titres anglophones de qualité (Financial Times, Chicago Tribune, Wall Street Journal) et vous avez une série d’abonnements. Le premier à partir de 10 euros par mois qui donne accès à 100 articles, puis 15 euros qui donne accès à tous les articles sauf certains titres, comme le Wall Street qui est accessible au-delà de 25 euros par mois. Je trouve la réaction du WSJ intéressante et nous devons nous développer sur la même base. Si certains estiment que c’est trop bon marché pour leur offre, on adapte l’abonnement. Chacun donne ses conditions et ce sera une négociation éditeur par éditeur pour que tout le monde trouve son compte. Le lecteur choisit son abonnement en ayant une pleine maitrise des coûts qui sont nettement plus bas qu’aujourd’hui, ainsi qu’une vision d’ensemble des titres. Au sein de la plateforme sans publicité, nous voulons amener de la valeur-ajoutée car énormément d’abonnements sont redondants. C’est en mettant en avant l’offre locale que l’on apporte de l’originalité. Ce serait donc une lecture d’actualité régionale romande et sur cette base seront également proposés des journaux internationaux francophones.

«Dans un second temps, une petite équipe éditoriale de deux ou trois personnes doit être créée.»

 Au niveau éditorial, qui gère ce qui est mis en avant sur la plateforme ?

Dans un premier temps, c’est uniquement un algorithme. L’équipe éditoriale, c’est tout simplement la presse romande. Dans un second temps, une petite équipe éditoriale de deux ou trois personnes doit être créée. Mais c’est pour plus tard. Elle se chargera de faire un tri et une mise en avant de certains contenus. Mais il faut d’abord mettre en place à l’échelle romande ce programme qui permet d’agréger des contenus de tous les journaux de la place et de les vendre avec une interface assez simple.

Quels seraient les différents abonnements proposés ?

Un abonnement à 15 francs par mois, soit le montant dépensé en moyenne pour la presse en Suisse. Mais c’est adaptable. Le modèle Inkl est bon et nous pourrions proposer une première version à 10 francs par mois pour un quota de 100 articles, puis ensuite vous payez 10 centimes par articles. Dans la deuxième offre, vous payeriez 15 à 20 francs pour une offre limitée de ces titres, qui pourrait être celle qui intéresse le plus les partenaires (vous retrouvez par exemple uniquement les principaux articles du Temps). On peut imaginer une troisième version premium, où tout est disponible au prix de 45 à 50 francs par mois pour les gros consommateurs d’actu.

Comment fixer la clé de répartition du chiffre d’affaires entre les médias? 

Le produit des abonnements sera redistribué aux éditeurs selon la consommation réelle. Et la plate-forme « timoty » prendrait une marge de 20% comme rémunération.

Certains éditeurs ont des doutes quant à la mise en valeur de leurs contenus sur la plateforme et à leur juste rémunération…

Je ne comprends pas ces doutes. Je n’ai pas l’ombre d’un doute que le modèle avec un journal et ses abonnés va disparaître à terme car il n’est pas viable. Comment un éditeur peut-il refuser une diffusion plus large de son contenu ? En revanche, il peut demander des conditions. La bonne réaction est celle de Tamedia et Ringier, qui se disent prêts à tenter l’aventure. Mais le journal local L’Ajoie, par exemple, est partant. Avoir une plateforme commune pour un éditeur aujourd’hui, c’est une possibilité inouïe de bien comprendre le moyen de consommation des gens.

Le marché romand n’est-il pas trop petit ?

Non, le marché romand est une grande île. C’est deux millions d’habitants. L’idée est d’arriver à reproduire un modèle comme cela sur Paris, Lyon, Grenoble, avec la même édition sur le contenu principal à l’international et une offre locale. L’idée est de pouvoir reproduire le modèle, aussi à Québec ou à Abidjan. L’étape suivante est la francophonie.

Sylvain Bolt

Sylvain Bolt

Journaliste Web pour Edito.ch/fr. Diplômé de l'Académie du journalisme et des médias de l'Université de Neuchâtel.

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