Actuel – 25.09.2019

« Il y a urgence ! »

La nouvelle loi sur les médias électroniques a été recalée. Pour Géraldine Savary, la situation de la presse en Suisse exige d’agir rapidement.

Par Jean-Luc Wenger

La conseillère aux Etats vaudoise Géraldine Savary, 50 ans, ne s’est pas représentée cet automne, après seize ans à Berne, dont douze à la chambre haute. Membre de la commission des télécommunications, elle suit de très près l’évolution de la presse. Entretien.

Edito : Comment voyez-vous le monde des médias en Suisse ?
Géraldine Savary : Je m’interroge sur l’avenir de la presse depuis près de dix ans. La réalité est bien là : le nombre d’abonnés diminue, les recettes publicitaires aussi. Des titres disparaissent, il y a une vraie crise. En Suisse romande, nous assistons à une uniformisation des médias. Il y a de moins en moins d’acteurs pour nous informer sur ce coin de pays. Le phénomène touche aussi la Suisse alémanique, en particulier lorsqu’il s’agit de relayer les débats de politique suisse. Vous aurez partout le même compte-rendu.

« Sommes-nous prêts à payer pour une information de qualité ? »

Comment avez-vous agi à Berne ?
Avec les moyens du bord… J’ai déposé lors de la session de juin une motion pour affecter les recettes des concessions 5G à un fonds pour le numérique dont pourraient bénéficier les médias pour finaliser leur transition numérique. J’ai aussi proposé d’introduire une obligation pour les GAFA de rémunérer les contenus rédactionnels, aux éditeurs comme aux journalistes. Aujourd’hui les grands moteurs de recherche pillent les contenus rédactionnels et captent 80 pourcent des recettes publicitaires.

C’est un vrai problème et, à mes yeux, une situation inacceptable. L’information n’est pas gratuite. Elle coûte cher ! C’est forte de ce constat que l’Union européenne a adopté une directive allant dans ce sens et les pays membres ont deux ans pour l’introduire. Au Parlement, nous avons adopté un postulat pour que le Conseil fédéral y réfléchisse. Attendons donc ces deux ans avant de tirer un bilan de ce qui s’est passé chez nos voisins. J’espère que ce dossier sur le droit d’auteur pourra avancer car Google et Facebook décident de ce qui est important : c’est hyperliberticide !

Qu’en est-il du projet de nouvelle loi sur les médias électroniques (LME) ?
La LME vient directement du département dirigé jusqu’à l’année passée par Doris Leuthard, soit le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). D’emblée, tout soutien direct a été écarté, faute de base constitutionnelle. En consultation, la LME a concentré les oppositions. Aujourd’hui, le DETEC est sous la responsabilité de Simonetta Sommaruga. Elle veut aller vite, elle aimerait avoir un nouveau projet sous toit avant la fin de l’année. Le Conseil fédéral vient d’annoncer, sous son impulsion, qu’il renonçait au projet de loi et privilégiait des mesures ciblées. Une aide financière aux médias électroniques payants, un soutien à la formation et à l’ATS et une vingtaine de millions supplémentaires pour l’aide indirecte à la presse par le ­biais du soutien aux tarifs postaux.

Les parlementaires ont-il pris la mesure de la gravité de la situation ?
Oui. Un bouquet d’initiatives, aussi bien au Conseil national qu’au Conseil des Etats, fleurit. Des élus de différents partis, tels Olivier Feller (PLR), Matthias Aebischer (PS) et Filippo Lombardi (PDC), proposent un soutien à tous les médias via une aide directe par l’introduction d’un nouvel article constitutionnel.

« J’ai déposé une
motion sur la 5G. »

Existe-t-il un projet qui puisse éviter une modification constitutionnelle ?
La solution pourrait venir d’une augmentation de l’aide indirecte, soit l’aide à la distribution via la Poste. Il y a une dizaine d’années, la Confédération engageait 100 millions. Aujourd’hui, nous en sommes à 50 millions. Un soutien de la Confédération à la distribution de journaux permettrait d’une part de renforcer une mesure qui a tout de même fait ses preuves et d’autre part allège la charge financière pour les éditeurs.

Rappelons que la diminution du nombre de lecteurs conjuguée à la hausse des tarifs postaux rend le coût de la presse papier très lourd à supporter. C’est une solution prônée par les associations d’éditeurs. Et c’est la piste que nous avons privilégiée, mon collègue du PDC Stefan Engler et moi-même au Conseil des Etats. Stefan Engler propose une augmentation du montant de la contribution fédérale pour l’aide à la distribution de journaux. Je souhaite quant à moi que l’on prospecte la piste d’un soutien à la distribution de journaux et périodiques finançable grâce aux recettes excédentaires de la redevance.

Ce financement profiterait donc à tous les éditeurs ?
Oui, pour autant que l’argent public serve à développer l’offre et le contenu rédactionnels… Le débat ne fait que commencer. Augmenter  le soutien financier à la distribution de journaux par l’impôt ou par la redevance fera l’objet d’une vraie discussion ; il faudra être convaincant, sachant que les grands groupes de presse distribuent des dividendes à leurs actionnaires !

Est-ce que le peuple aura à se prononcer ?
Sommes-nous prêts à payer pour le maintien d’une information de qualité ? Et si oui de quelle manière ? Pour quels médias ? Comment préserver l’indépendance des médias et parallèlement à élaborer des lois qui les lient au politique ? Comment assurer l’accès à l’information ? La diversité des opinions et des identités dans notre pays ? Ces questions sont de première importance et quel que soit le chemin choisi, par voie légale ou constitutionnelle, la population suisse devra s’y engager.

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