Parmi les nombreux conseils que distille Noémie Gmür, elle recommande de collaborer avec d’autres personnes pour la partie technique d’un podcast.

Actuel – 23.12.2021

« Prêts ? Podcastez ! »

Journaliste, consultante en « social média », créatrice engagée, multicarte et formatrice… La Franco-Suissesse Noémie Gmür a le sens de la formule et vient de publier un guide très complet intitulé L’art du podcast.

Par Gilles Labarthe / Datas

En Suisse, de plus en plus de médias consacrent une place au podcast, format apprécié pour sa sou­plesse de production et d’écoute, y compris en situation de déplacement. Les centres de formation professionnelle – CFJM à Lausanne ou MAZ à Lucerne – aussi, tandis qu’un premier guide vient de lui être dédié par une passionnée. Son auteure a travaillé dans plusieurs domaines avant de se lancer en autodidacte dans la création de podcasts, puis d’en faire son métier. Interview.

EDITO : Noémie Gmür, quel est votre parcours ?

Noémie Gmür : J’ai étudié l’histoire à la Sorbonne avec la volonté de devenir journaliste. Après un premier burn-out, je migre vers la communication en me disant que j’aurais plus de chances d’avoir « un vrai métier ». Puis, je deviens spécialiste en stratégies de communication sur les réseaux sociaux. Il fallait être capable de tout faire : du copywriting, de la gestion de projet, des tournages et des budgets. Entre harcèlement moral, atmosphère sexiste, raciste, LGBTphobe, journées de 80 heures…

En 2018, à nouveau au bord du burn-out, je m’engage dans l’association féministe Stop Harcèlement de rue, j’écoute beaucoup de podcasts. Sentant que quelque chose est en train de se passer, je bouillonne d’idées. Après avoir été bénévole lors de la première édition du Paris Podcast festival, je lance « Entre Eux Deux », pour interviewer des personnes qui questionnent la norme dans les relations amoureuses…

Ce premier podcast a connu un beau succès. Comment vous êtes-vous lancée ?

Sur le tas, grâce à des tutoriels sur Youtube et de précieux échanges… Experte en communication, avec une expérience dans le podcast et des réseaux dans ces deux secteurs, j’ai trouvé des missions assez rapidement, mais surtout sur la partie promotion. J’ai eu envie de me spécialiser dans la création sonore et me suis formée au documentaire sonore à l’Ecole nationale supérieure Louis-Lumière, pour me sentir plus légitime de proposer des sujets à des studios.

Pourquoi avoir choisi ce mode d’expression ?

J’ai toujours adoré écrire mais les médias me semblent inaccessibles, d’autant plus que je ne me reconnais dans aucune ligne éditoriale. Avec mon profil de communicante, j’ai conscience qu’on ne va pas me dérouler le tapis rouge, dans un secteur qui est déjà ultracompétitif et gouverné en majorité par des hommes. Puis, il y a eu #MeToo, l’affaire de la Ligue du Lol et le podcast commence à décoller avec beaucoup de femmes derrière les micros. Des modèles auxquels je peux plus facilement m’identifier émergent. La liberté de ton, de sujet et de format achèvent de me convaincre…

Le podcast permet de conjuguer des compétences à la fois éditoriales, théoriques mais aussi plus opérationnelles et techniques. En bonne hyperactive, je m’ennuie vite si je fais toujours la même chose. Ce n’est clairement jamais le cas avec ce format ! Il y a aussi un élément qu’on aborde encore trop peu, c’est l’accessibilité du podcast pour des personnes en situation de handicap ou qui ont des neuro­atypies. Si j’ai accroché avec ce format, c’est aussi parce que j’ai un trouble du déficit de l’attention. C’est compliqué pour moi de rester concentrée sur une seule tâche. Avec le podcast, c’est possible et ça m’a permis d’explorer des sujets plus en profondeur.

Les podcasts sont devenus de plus en plus « à la mode ». Comment se démarquer ?

Avant toute chose, le podcast qu’on crée doit être un podcast qu’on a envie d’écouter. Cela implique deux choses : tout d’abord, l’importance de créer un contenu qui nous passionne. Pour se démarquer, il faut aussi passer du temps à étudier les podcasts qui existent déjà autour du sujet choisi. S’il y en a déjà beaucoup, cela risque d’être plus compliqué mais pas impossible pour autant. Le tout, c’est de trouver une originalité dans l’angle. Et si il n’y a pas d’autres contenus sur ce thème, il y a de belles opportunités ! Souvent, plus le sujet est de niche, mieux le podcast fonctionne.

« En bonne hyperactive, je m’ennuie vite si je fais toujours la même chose. »

Noémie Gmür

Existe-t-il aujourd’hui suffisamment de débouchés, selon vous, pour que des journalistes puissent en tirer une source de revenus régulière, même complémentaire ?

Si la question est : est-ce qu’il est possible de gagner de l’argent en réalisant des pod­casts, alors oui, c’est possible. Mais cela nécessite de faire preuve de polyvalence et de persévérance. On est encore aux prémices de tout ce qu’on peut faire avec ce format et il y a encore de belles choses à créer et explorer. En revanche, vivre exclusivement du podcast se révèle plus compliqué. Ecrire, produire et réaliser un épisode prend énormément de temps car cela implique beaucoup plus d’étapes que l’écriture d’un article, par exemple. C’est encore difficile de faire comprendre et de valoriser la quantité de travail que représente ce format…

Dans une de vos dernières newsletters, vous évoquez une enquête de votre consœur, la journaliste Khedidja Zerouali, réalisée pour Médiapart, avec ce titre alarmant : « Anxiété et burn-out, les travailleuses du podcast peinent à faire respecter leurs droits ». Quelle est la situation en France ?

Les conditions de travail sont encore précaires. Il n’existe aucune structure efficace qui protège et soutient les créatrices et créateurs. Aucun barème de rémunération, aucun syndicat, une mise en compétition constante, un manque de transparence, un énorme flou juridique autour des droits d’auteur et les studios ne disposent pas de ressources humaines…

La seule organisation représentative de notre secteur, c’est un syndicat de patron·ne·s ! Je pense qu’on est plein à s’être engouffré·e·s dans le podcast parce que le milieu du journalisme écrit, radio ou TV nous semblait hyper- fermé. On y a vu une sorte d’eldorado pour parler de sujets boudés par les médias traditionnels… Sauf qu’on a été vite refroidi·es parce que les rapports de domination sont aussi bien présents dans le podcast. D’où la nécessité pour les créatrices et les créateurs de s’unir pour faire valoir nos droits.

Vous êtes vous-même Franco-Suissesse et vivez en partie en Allemagne…

Grandir avec deux cultures m’a donné la chance d’appréhender la France et la Suisse avec un certain recul. Ma grosse frustration, c’est de ne pas avoir appris l’allemand dès mon enfance, alors que ma famille paternelle vivait dans le canton de Saint-Gall. Ma grand-mère était Allemande d’origine. Quand elle est décédée, j’ai ressenti le besoin de me reconnecter à mes racines.

Je trouve que le marché germanophone est prometteur. On sent qu’il se développe aussi très rapidement, mais avec une autre culture radiophonique. La France se caractérise par une création sonore qui est assez unique, avec une culture du documentaire très présente. En Allemagne, j’ai l’impression qu’on est plutôt sur des formats d’interviews. Je crois beaucoup au développement de ce marché et j’ai très envie d’y prendre part. Je réfléchis d’ailleurs en ce moment à traduire et adapter mon livre, à bon entendeur…

Votre ouvrage de 400 pages, d’une grande clarté, représente un guide très complet : quels sont les cinq conseils principaux que vous adresseriez à des jeunes voulant se lancer dans ce type de production ?

Etre passionné·e par son sujet est un ­impératif pour tenir sur la durée. Avoir une démarche authentique me semble aussi très important, d’autant plus quand on utilise la voix. Toutes les émotions s’entendent et il n’y a rien de pire que quelqu’un qui sonne faux. Ensuite, je dirais que bien choisir ses invité·e·s est un point important : éviter de tomber dans la facilité en interviewant celles et ceux qu’on entend ou voit déjà partout, diversifier les points de vue, sortir de sa zone de confort, bien préparer ses questions…

Sur la partie plus technique, il ne faut pas hésiter à collaborer avec d’autres personnes. Cela permet non seulement de ne pas s’épuiser mais aussi d’échanger quand on a des doutes ou besoin d’un avis. Enfin, un conseil que je n’ai clairement pas appliqué à mes débuts : préparer ses épisodes en avance !

Vous abordez aussi la question de la monétisation… A quoi faut-il faire attention, à ce niveau ?

La monétisation est un sujet très large, puisqu’il existe de nombreuses approches mais qui ne s’appliquent pas à tout le monde. J’en référence six dans mon livre, qui sont la sponsorisation par une marque, le financement participatif, la vente de produits dérivés et l’organisation d’évènements, la vente de son savoir-faire (en production, formation et rédaction de contenus) et la collaboration avec des structures comme les studios ou la radio.

Chaque contenu est unique, tout comme chaque créatrice ou créateur. C’est pour cela qu’il faut bien réfléchir aux approches qu’on veut explorer en fonction de plusieurs critères : le contenu, le format, la périodicité, le temps et les moyens disponibles, les réseaux professionnel et personnel. Ou encore, la communauté potentielle autour d’un sujet.

Gmür, L’art du podcast : le guide complet pour vous lancer ! De l’idée jusqu’à la monétisation, 7 étapes pour réussir votre projet, Ed. Eyrolles, 416 pages.

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