M comme Marc-Henri Jobin – 26.10.2017

Tout sauf ma liberté

C’est une vertu en journalisme que de prendre le contre-pied. Pas pour le plaisir, mais pour questionner les faits et les propos et trouver ce qui se cache sous le tapis. Alors, mettons aussi nos propres certitudes et croyances à l’épreuve! C’est un peu «touchy», mais bon.

De quoi parle-t-on? Et bien de l’uniformisation de la presse, justement. Qu’y a-t-il à ajouter, me direz-vous? Des titres disparaissent, les rédactions sont fusionnées, les mêmes articles sont diffusés sur plusieurs titres et maints supports. A chaque exercice d’économies, les effectifs reculent et les bureaux extérieurs se vident. Il y a bien uniformisation et appauvrissement!

Oui, mais attention de ne pas poser ce constat en dogme. Faute de quoi nous pourrions ne pas voir ce qui se cache sous le tapis. Ainsi, peut-on affirmer que les journaux, moins nombreux, regroupés et centralisés offrent aujourd’hui moins de diversité qu’il y a 15 ou 20 ans?

Souvenez-vous! La presse était florissante. Une grande sérénité régnait, et… une grande uniformité aussi: entre les titres, dans le choix des thèmes, dans le traitement des sujets. Dicté par l’institution, l’agenda était le même pour tout le monde. Les quotidiens étaient indépendants, mais les rubriques inter, nationale et éco étaient du même tonneau, tirées de dépêches plus ou moins revisitées. Les journaux ne se distinguaient guère que par leur couverture régionale et leurs éditos un poil plus rugueux. Sans risque d’être épinglé: chacun régnait en maître sur sa région et les citoyens ne lisaient souvent qu’un quotidien.

Le web a fait voler en éclats ce cartel de l’information. La concurrence s’est exacerbée, les supports se sont multipliés, les titres ont dû clarifier leur positionnement et se choisir un public cible. Il y a eu des fusions et concentrations, mais aussi de nouvelles manières de faire, plus de productions maison, une quête d’exclusivités. Soit au final un formidable élargissement des contenus éditoriaux.

L’actuelle «convergence» comporte bien des risques. Mais le danger n’est pas la concentration des infrastructures. Elle est dans la convergence des esprits. L’ennemi no1, c’est le «mainstream», qui trouve un terrain favorable dans la peur et de la lassitude des rédactions et dans la tentation des éditeurs à lier les contenus aux impératifs économiques.

L’économiste Robert Picard l’observait déjà en 2004 aux Etats-Unis: le vrai danger tient dans la propension à privilégier les contenus «façonnés pour attirer de larges publics (…) dont l’attention sera vendue aux annonceurs». Résultat: ce qui dérange est ignoré, ce qui est dispendieux est marginalisé, ce qui est risqué est ignoré. C’est là que se situe l’enjeu: dans la possibilité de choisir ses sujets en toute indépendance et de les traiter en toute liberté.

 

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