© Luc Chessex

Actuel – 06.09.2017

Zalmaï, le photographe qui humanise la migration

Le Vaudois d’adoption a reçu le Swiss Press Photo 2017 le 27 avril dernier à Berne. Portrait du photoreporter d’origine afghane qui met en lumière les migrants.  Par Sylvain Bolt

«Ce prix a mille visages. Et des yeux qui m’ont regardé pendant des mois avec de l’espérance, de la joie, des pleurs parfois.» Dans ces milliers de visages et d’yeux, Zalmaï a reconnu son propre reflet: celui d’un jeune afghan alors âgé de 15 ans. Qui doit échapper aux enrôlements forcés de l’Armée rouge. Nous sommes en 1979 et les Soviétiques envahissent son Afghanistan natal. Avec son frère, il se cache, marche de nuit pour échapper aux contrôles et fuit.

La photo primée, capturée lors du démantèlement de la sombre Jungle de Calais en octobre 2016, met en lumière le travail du photographe naturalisé suisse en 1994 et devenu l’un des photoreporters les plus reconnus de la planète. «Cette crise des réfugiés a été très mal couverte par les médias de manière générale. On a fait peur aux gens, en montrant des hommes seuls et des grandes files de personnes». Fidèle à ses idéaux et conscient qu’il peut aider à sa manière, «en amenant l’image de leur situation le plus loin possible», Zalmaï s’efforce depuis plus de 25 ans d’humaniser cette crise qui selon ses mots est «une crise de la compassion et non des réfugiés».

«Mon travail consiste à personnaliser ce drame, en suivant un petit groupe. La photographie doit améliorer une certaine situation et permettre de mieux comprendre ce qu’il se passe. Elle doit aussi donner de l’espoir». Ce Swiss Press Photo 2017 est une reconnaissance pour son travail. «Il me réconforte dans mes choix, me donne la force de continuer en tant que photographe indépendant dans cette période difficile pour la presse.» Comme un hommage aussi à l’Hebdo, qui a publié le reportage trois mois avant de disparaître. «J’ai été choqué par la violence et la brutalité de la fin de l’Hebdo. Il fallait encore lui donner une chance de se réajuster.»

«La photographie m’a sauvé la vie»

Entre Zalmaï et la photographie, c’est l’histoire d’une passion salvatrice. Encore enfant, son père diplomate lui ramène d’un voyage russe un appareil photo. «J’ai photographié ma famille puis développé le film. Et je suis tombé amoureux de cette image qui est apparue dans un bac.» Adolescent, il se promet qu’il deviendra un jour photographe. Et cette passion le confortera dans ses moments d’extrême souffrance, liés à la guerre et à son exil forcé. «La lumière de la photographie m’a pris la main et elle m’a permis de sortir de ce trou noir. Elle m’a sauvé la vie.»

Arrivé en Suisse chez sa tante qui l’accueille, sa thérapie par l’image se matérialise. Elle débute en 1985 par des cours de photo à Lausanne puis à Yverdon avec Luc Chessex, dont il deviendra l’assistant et auquel il voue, trente ans plus tard, une admiration inaltérée. «Quand j’ai des questions fondamentales sur la vie ou la photographie, son conseil est toujours très précieux.»

Zalmaï se lance dans le photojournalisme au début des années 1990, grâce au soutien de Jacques Pilet, fondateur du feu Nouveau Quotidien. Toujours sur la route, le photographe a parcouru plus de 100 pays, grâce à «ce métier qui est un prétexte pour découvrir le monde». Et il confie avec un large sourire qu’il «ne rêve pas sa vie mais vit son rêve», tout en assumant le côté très cliché de cette phrase.

Sur la table de ce café lausannois, à côté de son smartphone, Zalmaï a soigneusement déposé son appareil photo qu’il ne quitte presque jamais. «Le boitier est de dernière génération, mais l’objectif est un Leica acheté en 1985 quand j’étais étudiant. Le mariage des deux donne quelque chose d’incroyable!» Il est parfois difficile pour le photographe indépendant de suivre le rythme effréné de l’innovation technologique et du matériel toujours plus onéreux, qui se renouvelle tous les trois mois.

Zalmaï, lui, préfère retenir les avantages du numérique. «Quand je pars six jours en reportage, j’envoie 4 à 6 photos. Avant, le photographe avait moins de contrôle sur son travail. C’est la rédaction qui décidait après avoir reçu tous les clichés par voie postale.» Et le Vaudois, qui se définit comme un «nomade numérique», n’a ainsi plus besoin de revenir chaque fois à la base. «Ça tombe bien, vu que je n’ai pas de domicile». Nostalgique mais pas résigné en évoquant l’âge d’or révolu de la photographie, «lorsque les magazines publiaient six pages de reportages photos», Zalmaï collabore aussi avec des ONG telles que Human Rights Watch, «qui ont l’intérêt et les ressources pour travailler avec des photographes indépendants».

«Un paysage sans une présence humaine? Je le regarde, mais je ne le photographie pas.»

Parler de photographie, c’est aussi l’entendre philosopher sur un rapport à l’image qui a évolué. «Dans l’histoire de l’humanité, l’homme ne s’est jamais autant regardé lui-même. Paradoxalement, nous sommes en train de perdre la valeur de l’image.» Pour illustrer son propos, Zalmaï prend l’exemple d’un jeune sur Snapchat qui consomme un cliché en 20 secondes. «Moi, je peux consommer la même image pendant dix ans, elle me racontera chaque jour une autre histoire».

Pourtant, le photographe suisse de l’année est convaincu de la puissance des réseaux sociaux. Avec 70’000 abonnés sur Instagram, ses publications touchent instantanément des milliers de personnes dans le monde entier, «de toutes les religions, toutes les races et toutes les générations». Pour Zalmaï, qui veut croire à un nouvel âge d’or «après cette phase de transition», les réseaux sociaux sont des alliés du photographe, «mais il va falloir trouver une solution pour rémunérer le travail et donner une cohérence à tout cela.»

La sérénité dégagée par celui qui a notamment collaboré avec Time Magazine, Newsweek ou le New Yorker est mise à plus rude épreuve lorsqu’il évoque le manque de considération dans les rédactions. Elles prennent selon lui de moins en moins en compte la plus-value du photographe. «Cela me met hors de moi, jamais je n’aurais la prétention de prendre la place d’un journaliste, ce sont deux métiers différents!».

Face au journaliste multitâche, le sang de Zalmaï ne fait qu’un tour. «Les rédactions doivent travailler avec des professionnels. La qualité de l’image est la vitrine du magazine. Les gens se lassent de voir des images prétextes et c’est une des raisons qui explique la chute du lectorat». Et puis, le photographe ne cache pas son sentiment d’exaspération lorsque «l’excuse du web» est utilisée. «Je me fiche que la photo ne soit que pour le web. Les images sont justement plus vues en ligne que dans la version papier. Cette logique doit changer!».

La guerre est un sujet qui a accompagné la vie de Zalmaï depuis son enfance. Mais il ne se considère pas comme un photographe de guerre, «c’est elle qui est dans mon travail». Au cœur de son travail justement, toujours et encore l’humain, mais jamais de traces des lignes de front ou des combats. «Un paysage sans une présence humaine? Je le regarde, mais je ne le photographie pas.»

Plusieurs fois, Zalmaï a échappé à la mort. Comme en 2003 à Kaboul, lorsqu’en route pour un cybercafé, il retourne finalement sur ses pas pour chercher un disque dur. Il évite ce jour-là une énorme explosion qui pulvérise le cybercafé et tue huit personnes. Dans les zones de conflits, lorsqu’il se lève chaque matin, Zalmaï a un rituel. «Je me regarde dans un miroir et je me salue en me disant: je ne sais pas si je te reverrai ce soir.» Avec humilité, le photoreporter avoue pourtant vouloir continuer de photographier «des choses ordinaires qui deviennent extraordinaires».

Toutes les photos du «Swiss Press Photo 17» seront exposées à Lugano Arte et Cultura (04.07-21.08), au Kornhausforum de Berne (22.09-22.10) et au Château de Prangins (02.11.2017-04.03.2018).

Sylvain Bolt

Sylvain Bolt

Journaliste Web pour Edito.ch/fr. Diplômé de l'Académie du journalisme et des médias de l'Université de Neuchâtel.

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